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Le vélo, la campagne et le quotidien : trouple impossible ?

Temps de lecture : 25 minutes

A la campagne, les alternatives au trajet automobile à 90km/h paraissent bien rares, même pour quelques centaines de mètres. Par les chemins de traverse, cet article veut contribuer aux tentatives de moins polluer et moins dépenser. En se faisant plaisir.

Il existe plusieurs unités pour mesurer l’absurdité qu’il y a à déplacer une tonne de métal pour aller chercher le pain, déposer un enfant à l’école ou rendre visite à un voisin. En euros, bien sûr – ceux qui restent dans les porte-monnaies à la fin du mois une fois les deux ou trois pleins mensuels soldés. En émissions de gaz à effet de serre – celles qu’on peut se permettre avant la fin d’un monde habitable. En silences dans les sommets internationaux – tous ces petits et grands arrangements avec les exportateurs et producteurs de pétrole ou de terres rares, rarement à la pointe des droits humains. En hectares d’espaces naturels ou agricoles – ceux qui sont artificialisés par le bitume qu’on continue de vouloir dérouler, partout.

En ville, cette absurdité est particulièrement criante et l’idée commence à infuser plus ou moins sérieusement les politiques publiques. A la campagne, où le souvenir des transports en commun s’est estompé depuis longtemps (quand il y en a eu un jour !), on est loin d’avoir commencé à attaquer le problème de la réduction de la part des déplacements réalisés en voiture à la hauteur des besoins. 

Historiquement, les promoteurs de la mobilité à vélo prônent le doublement de toutes les départementales par des voies cyclables sécurisées. Quel pied ce serait ! Nous sommes infiniment pour, bien sûr. On peut néanmoins considérer que la prise en compte d’un certain principe de réalité impose de réfléchir à quelques voies complémentaires – sinon alternatives – en attendant que cet investissement à 20 milliards d’euros inonde notre vie quotidienne de joie. A l’instar de la FUB, qui vient de produire une note passionnante sur la sécurité des cyclistes en milieu rural

Notre hypothèse ici est que, si la majorité des trajets de moins de trois kilomètres hors agglomération se fait en voiture, ce n’est pas tant par paresse que parce que toute autre expérience y est insoutenable. Cet article illustré a l’ambition de contribuer à inverser la tendance à court terme, dans des équations budgétaires et culturelles réalistes. On se permettra, pour y parvenir, quelques détours historiques et techniques – parce qu’on a la place, le temps et qu’on aime ça. 

Bien entendu, le changement vers des mobilités durables à la campagne ne se limite pas à ces courts trajets et de nombreux autres leviers que le vélo et la marche sont à mobiliser : en témoigne la très riche et concrète boîte à outils du Céréma pour la mobilité en zone peu dense.

L’impasse du tout-voiture à la campagne, fruit d’une culture et de choix publics 

Les déplacements ruraux ont été confisqués par la voiture après des siècles pendant lesquelles les voies furent partagées – entre piéton·ne·s et chariots, chevaux et, plus tardivement, vélos. 

Il ne s’agit pas de verser dans la nostalgie de ces époques laborieuses mais de chercher à comprendre comment nous en sommes arrivé·e·s à une situation dans laquelle aller rendre visite à la voisine à pied est, au mieux, une expérience pénible, au pire, une inconsciente prise de risque – dans les deux cas, quelque chose que l’on ne fait pas, pour peu qu’elle habite à quelques centaines de mètres de route. 

Le tissu rural, la compacité de ses bourgs, la distance des fermes aux lieux de distribution – le marché puis l’épicier du village – en bref, toute la géométrie compacte et dense (oui !) des formes rurales, ont explosé au 20ème siècle sous l’effet de la victoire sans partage de la voiture, qui s’est arrogée l’exclusivité des déplacements, distendant artificiellement le territoire.

Mon fils : “Pourquoi les gens ils marchent ici?”. L’automobiliste qui arrivera après confirmera l’incongruité de la chose avec d’insistants appels de phare. Tout le monde est d’accord pour admettre que les voies rurales ne sont faites pour rien d’autres que des voitures qui roulent à 80km/h.

Qui a ainsi façonné et entretient ce système viaire rural, et avec quels objectifs ? La ligne de partage des rôles en matière de routes est houleuse depuis la fin du 18ème siècle, écartelée entre centralisme – incarné, entre autres, par l’experte élite des Ponts et Chaussées – et velléités décentralisatrices, sous la pression d’acteurs locaux qui se sentent mal accompagnés par les ingénieurs parisiens ignorants des spécificités locales. Au-delà des questions d’expertise, les routes représentent une patate chaude que se refilent les acteurs publics depuis 40 ans, et on les comprend : une fois qu’elles sont construites, elles coûtent très cher à l’ entretien et elles souffrent de cette malédiction partagée par presque tous les dispositifs publics, qui veut que si la construction et l’inauguration sont politiquement rentables, la maintenance, elle, est ingrate.

Si l’on exclut les autoroutes, coûteuses mais marginales tant en longueur (10 000 Km d’autoroute pour respectivement 400 000 et 600 000 de “route” et de “rues”) que dans les usages quotidiens, les rôles en matière de routes tendent vers une répartition entre les “rues” aux communes et intercommunalités, et les “routes” aux départements (même si sur certains territoires, la domanialité communale reste forte). Ces derniers ont notamment hérité d’une grande part des voies rapides nationales et gèrent 380 000 kilomètres de routes départementales – un chiffre à peu près stable depuis 30 ans.

L’échelon communal (ou intercommunal) ramifie et “tire des rues” jusqu’aux adresses, ce réseau grandissant de façon inquiétante du fait de l’étalement urbain (de presque 1% par an depuis le début du siècle). Les communes, la plupart du temps en quête de nouvelles·eaux habitant·e·s, n’ont pas d’autres choix que de desservir les nouvelles adresses, tout en cherchant à contenir le linéaire de voies pour des raisons économiques : le kilomètre de rue et sa promesse d’aménités minimums – éclairage, trottoir, plantations, accotements, évacuation des eaux enterrées – coûtent beaucoup plus cher que la route.

Parlons, justement, des routes. L’effort des départements – leur énorme et 1er budget d’investissement – se concentre sur la gestion du stock, un réseau “contenu” avec peu d’ouverture de nouvelles voies (qui, pourtant, permettraient de raccourcir les trajets). Avec l’avènement de la voiture et d’une mobilité sans effort, l’attention publique ne porte plus sur une ramification de « raccourcis » mais sur l’augmentation de la vitesse moyenne et du débit, dans une perspective strictement motorisée de la mobilité. La vitesse a vocation à faire oublier aux automobilistes les distances physiques réelles.

La recette de ce “confort de conduite” des automobilistes est faite d’une grande diversité d’ingrédients. Caractéristiques de voirie, rayons de virage, dévers de voies, largeurs des accotements, respect des clothoides (sorte de spirale de Fibonacci du confort de la conduite)… Ensemble, ils constituent les référentiels de construction et d’amélioration des routes. Normalisés, ils incitent à rouler vite. Or, on le sait, le partage de la voie tolère mal les différentiels de vitesse trop importants.

C’est implacable : plus la vitesse d’un véhicule est importante au moment de la collision avec une piétonne, plus la probabilité de causer le décès de la piétonne est grande. A 40km/h, elle est déjà de 50%, à partir de 55km/h, on est au-dessus de 90%. (Etude IBSR)

Or, sur ce réseau de routes, la “sécurité routière” est réduite à la sécurité des usagers qui se déplacent au sein d’un habitacle motorisé. En s’assurant que les automobiles peuvent rouler en tout point à plus de 60 km/h, on crée une insécurité qui exclut de fait les autres usagers possibles de la route – et ce n’est pas une ligne blanche continue ou quelques potelets de plastiques qui y changent quoi que ce soit. L’augmentation de la mortalité des cyclistes en 2022, bien plus importante dans les territoires ruraux qu’en ville, en témoigne.

Alors que seule une petite fraction des ménages possède une voiture à l’époque, les constructeurs (ici Berliet) ont très tôt été des prescripteurs de voies exclusivement consacrées à l’automobile. Sur ces illustrations, pas une seule piétonne ou cycliste (alors qu’il y a deux fois plus de cyclistes que de voitures à l’époque !).

On en arrive alors, pour développer les mobilités douces à la campagne, à ne pas voir d’alternatives à la construction de pistes cyclables tout au long des routes. Chantier titanesque ! On aime trop rouler en vélo pour ne pas en rêver et ne pas regretter que cela n’ait pas été rendu obligatoire il y a 40 ans, comme aux Pays-Bas via les “Masterplan Fiets”.

Mais soyons aussi des cyclistes réalistes : le coût comme la faisabilité technique et écologique d’une telle opération en font une chimère. Des portions gigantesques nécessiteraient de dispendieux ouvrages d’élargissement et de terrassement, l’arrachage de haies qu’on a déjà assez de mal à protéger, l’abattage d’arbres qui ont assez de problèmes par ailleurs. Sans parler des zones de montagne, petites ou grandes, où les routes sont jetées en travers des pentes.

Alors, que faire ? Nous faisons l’hypothèse que le binôme rue/route représente un appauvrissement par rapport à la diversité des formes de voies roulables et marchables, y compris au quotidien.

Nous avons perdu un répertoire viaire varié au profit d’options qui coûtent cher en elles-mêmes et qui sont faites pour convoyer des véhicules motorisés eux-mêmes chers et polluants. Focalisées sur ces deux rôles voyers, l’un se dédiant principalement à la vitesse des voitures, et l’autre ayant bien assez à faire avec ses rues coûteuses et les multiples plaintes qui viennent avec, les politiques publiques ont abandonné l’idée qu’il serait envisageable de se déplacer autrement qu’en voiture sur un “bassin de vie”. Et pourtant.

La possibilité d’autres voies, par les chemins de traverse 

“Ça va où, par là ?”

Les chemins pourraient représenter une alternative au tête-à-tête mortifère entre rue et route, pour le grand bonheur des cyclistes et, dans une certaine mesure, des piétons. 

Avec 1 millions de kilomètres linéaires, les chemins tissent le premier réseau de France et ont une qualité fondamentale pour une infrastructure viaire : un maillage sans pareil, avec une ramification qui est gage de distances courtes.

Mauvaise nouvelle, néanmoins : ces sentiers et chemins, agricoles ou ancestraux, ces routes déclassées, ont été largement oubliés, et rares sont celles et ceux qui connaissent leurs viabilités. 

Pour la plupart de ces chemins, en effet, personne ne sait plus dire où ils mènent et rien ne vous indiquera leur état – condition de leur cyclabilité et de leur marchabilité – avant que vous n’en fassiez l’expérience plus ou moins heureuse. Hormis chez quelques personnes âgées qui auraient pratiqué ce tissu rural à pied avant l’effondrement de la marche depuis les années 60, la connaissance collective de ce réseau dans toutes ses caractéristiques s’est nettement appauvrie.

Même la connaissance publique de ces chemins s’étiole : là où les spécifications des routes sont scrupuleusement consignées avec précision, le mot d’ordre sur les nouvelles bases de données – notamment BDTopo qui devient le référentiel des métiers de l’aménagement  – est de ne consigner que les tracésdont la fréquentation ou l’entretien ne fait aucun doute” et d’oublier en creux tout autre tracé qui présente un doute ou est en cours d’enfrichement. Si l’objectif de fiabilité est louable, les conditions de l’oubli sont bien là. Les chemins à vocation touristique et naturelle font exception et sont repertoriés, à commencer par les GR (chemins de grande randonnée), qui représentent moins de 3 à 4% des chemins, ainsi qu’une partie des chemins à vocation touristique ou sportive consignée dans les plans départementaux des espaces, sites et itinéraires (CDESI). Localement, on peut aussi noter quelques belles – mais relativement limitées – initiatives de communautés d’IGNRANDO ou des Offices du tourisme. De toute façon, ces itinéraires de “loisir” sont par essence faiblement intéressants pour la mobilité quotidienne : ils sont essentiellement sélectionnés pour leur éloignement des centralités, lorsqu’ils ont un objectif de découverte de la nature, pour leur dénivelé, lorsqu’ils s’agit d’itinéraires sportifs, ou pour leur sinuosités, bucoliques mais éloignés de l’efficacité que requièrent nos déplacements quotidiens.

Afin d’illustrer l’hétérogénéité et les lacunes de la connaissance des chemins, nous avons produit une carte de France sur la base de données OpenStreetMap. Cette carte recense l’ensemble des chemins et sentiers de la France hexagonale, en différenciant d’une part ceux qui ne sont pas qualifiés et d’autre part ceux qui semblent être propices à la circulation cyclable.

Ces derniers ont été identifiés sur la base des “tags” utilisés pour les qualifier et qui nous semblent caractéristiques de chemins cyclables : 

  • les différents tag décrivant l’état des sols (smoothness=good / tracktype=grade (1, 2,3 surface  = compacted ou surface  = fine_gravel.  Nous avons exclu surface=sand et surface = mud ). 
  • Les différents tag liés au vélo : cycleway=track , bicycle=yes ainsi que les chemins de VTT de niveau 0 et 1 (sur 6 niveaux mtb:scale) qui ne présentent aucune difficulté et pas de dénivelé important (mtb:scale:uphill=0).

Cette carte n’est donc pas en l’état un référentiel solide. Elle a pour objectif de mettre en avant l’hétérogénéité de la connaissance des chemins et les différentes communautés qui les pratiquent, et elle démontre l’ampleur du potentiel de desserte des chemins.

A défaut d’une connaissance collective et/ou publique des chemins, les applications de navigation routière font la loi en matière de trajets et, sans surprise, elles projettent un monde vue d’un habitacle qui roule sur du bitume : les processus de cartographie partent d’imagerie aérienne ou les algorithmes décèlent mal les fins et discontinus chemins puis ces données sont confirmées et qualifiées par les Google/Apple Cars qui parcourent et inventorient les voies, les vitesses, le stationnement, les commerces et même les bordures de trottoir. C’est donc un monde “depuis la voiture” qui nous est livré, dans lequel tout espace qui n’est pas carrossable est invisibilisé.

C’est aussi un trajet “contractualisé” qui nous est proposé par les applis : on sait non seulement que le tracé est adapté mais aussi combien de temps cela va nous prendre. Or, nous choisissons un parcours de mobilité en fonction du temps de trajet, du sentiment de sécurité et de la quasi-certitude qu’on ne devra pas “rebrousser chemin” du fait d’un obstacle ou de la mauvaise qualité de la voie. Ces choix se sédimentent et se routinisent. Et aujourd’hui, être piéton ou cycliste, même sans passer par des chemins de traverse, c’est nécessairement s’exposer à un trottoir qui disparaît ou à une magnifique piste cyclable interrompue sitôt une limite administrative franchie entre deux communes. Sur les chemins, c’est pire encore : à tout moment, le chemin s’arrête – propriété privée, arbre en travers, affaissement, végétation surabondante, mauvais drainage, ornières géantes d’engins d’exploitation forestière ou agricoles. 

Perte de connaissance collective et publique, dépendance aux applis des GAFAM pour nous déplacer : le cercle vicieux s’enclenche. La fiabilité des chemins est inégale et nous est inconnue, nous les empruntons donc de moins en moins, ce qui fait sortir leur état et leur continuité des préoccupations des collectivités locales, ce qui dégrade la fiabilité des chemins et leur connaissance. Une fois enherbé, le chemin est davantage sujet au grignotage par les riverains, souvent agricoles, et les communes se délestent sans y penser de ce trésor –  200 000 km de chemins publics auraient ainsi disparu en 40 ans

Un réseau de chemins qui possède des qualités intrinsèques

La disparition progressive des chemins de notre quotidien et de notre connaissance collective sont d’autant plus dommageables que ce patrimoine présente des qualités intrinsèques particulièrement précieuses pour en faire des alliés de la transition en matière de mobilité.

L’intelligence du sol et des usages séculaires pour mailler un territoire

Des décennies – plus souvent des siècles – ont façonné le tracé des sentiers et chemins sur la base de leur confort d’usage et de la moindre friction avec les éléments naturels. Les tracés les plus sinueux ont été poncés génération après génération, pour se tendre jusqu’à atteindre le meilleur rapport entre distance, dénivelé et qualité du sol. Telle que la raconte ce podcast, la façon dont les sentiers américains se forment et s’entretiennent illustre ce propos. La résilience physique des tracés a progressivement été optimisée, là en les appuyant sur une ligne d’enrochement particulièrement stable, ailleurs en les faisant passer par des sols et sous-sols naturellement bien drainés toute l’année. Ces qualités nous intéressent particulièrement en termes de cyclabilité et de marchabilité, offrant une bonne base de confort de circulation, notamment grâce à l’évitement de dénivelés inutiles. 

Par ailleurs, les chemins ont été façonnés par des usages multiples (agricoles, forestiers, commerciaux…), dont la reconnaissance d’une certaine efficacité à desservir des destinations populaires, aménités ou lieux de sociabilité. 

Or, même si la métropolisation et la croissance des aires urbaines ont redistribué les polarités du territoire, une partie des centralités historiques sont restées des destinations fortes ou ont vocation à le redevenir – comme l’incarnent les grands programmes publics “Action Coeur de Ville”, “Petites villes de demain” ou “Villages d’avenir”. 

A ce titre, une partie des chemins représente encore des trajectoires optimales vers des destinations du quotidien et offre ainsi des alternatives aux routes, qui peuvent se permettre de faire de longs détours en offrant l’illusion aux motorisé·e·s de s’affranchir tant des reliefs que des distances – un luxe que ni le cycliste, ni le marcheur, ni la planète ne peuvent s’offrir.

Si ce constat est sans doute moins spectaculaire dans les régions où le relief est un peu plus accidenté et où les routes principales ont davantage été tracées sur les chemins, précisément pour leurs qualités citées, il est particulièrement pertinent dans toutes les zones relativement plates où les routes ont été tracées au cordeau sans égard pour les contraintes topographiques. 

Herbes, petits cailloux et nids de poule : des filtres modaux frugaux

Les chemins et sentiers offrent “by design” des filtres modaux et des régulateurs de vitesse intransigeants (petites ornières, mottes d’herbe centrales qui frottent les bas de caisse…). Ceux-ci contrastent avec l’échec patent à réguler la vitesse sur route ou rue (35% à 75% d’infraction d’après le dernier Observatoire des Vitesses de l’ONISR), où toutes les coûteuses innovations (radars fixes, voitures radars, ralentisseurs divers…) semblent vaines.

La tolérance sur les petits excès de vitesse récemment annoncée par le Ministre de l’intérieur, avec la fin du retrait de point pour les excès inférieurs à 5km/h, perpétue l’idée que l’interprétation des limites de vitesse est largement à la discrétion des automobilistes. C’est particulièrement le cas dans les zones rurales, où les contrôles sont rares, vite signalés sur Waze, et où l’emplacement des quelques radars fixes est bien connu.

Ainsi, le chemin devient potentiellement de facto le seul espace en zone rurale où il est possible de marcher ou de rouler en vélo en desserrant les dents. 

Un support de biodiversité plutôt qu’une frontière

Si, du plus gros gibier aux plus petits insectes en passant par les batraciens et les rongeurs, les routes sont de notoires mouroirs pour la faune, elles génèrent également un appauvrissement de la diversité végétale et dégradent les sols. En effet, les gestionnaires s’accommodent mal de la grande diversité d’essences qui peuple les abords des routes et y préfèrent des peuplements homogènes, choisis pour ne jamais devenir trop grands ni déborder au-dessus de la route. Plus généralement, en quadrillant densément le territoire, les routes empêchent la continuité des bassins et des corridors écologiques, dont les travaux scientifiques soulignent le caractère stratégique dans la préservation de la biodiversité. C’est un des arguments des opposantes aux nouvelles autoroutes comme l’A69, et l’enjeu est tout aussi grand sur les réseaux routiers ordinaires (50-80-90 kmh) dont le linéaire est bien plus important. A l’inverse, non seulement les chemins ont un impact limité sur la mortalité de la faune ou la réduction de la diversité végétale, mais ils représentent même des refuges de biodiversité dans les paysages les plus anthropisés (monocultures, zone d’activités aux pelouses bien tondues, etc.) et, dans une certaine mesure, ils opèrent comme corridors entre espaces écologiques. Avec un entretien limité ou raisonné, les bords de chemins sont accueillants pour la micro-faune et les pollinisateurs qui sont également utiles aux activités agricoles adjacentes.

Une viabilité des chemins à reconsidérer à l’aune du numérique et de l’évolution technique des vélos

L’histoire du vélo précède celle des routes : le premier âge d’or du vélo (1890-1910) a lieu alors que seule une toute petite partie du réseau est couverte par des enrobés. En 1905, on compte 36 022 km de route empierrées et 2 144 pavées et seuls quelques lieux emblématiques comme Versailles, l’avenue Victoria ou Montecarlo bénéficient de “bitume”. 

Le vélo a donc été massivement utilisé à une époque faite avant tout de chemins aux revêtements variés, allant de la terre compactée à des roches plus ou moins grossièrement concassées.

Après un siècle de bitumage, deux évolutions techniques nous permettent de considérer la possibilité de remettre les chemins au cœur de nos mobilités quotidiennes à vélo : l’avènement des outils numériques au service de notre connaissance des tracés d’une part, et notre capacité effective à (bien) rouler grâce aux évolutions techniques du matériel à notre disposition d’autre part. 

Ne plus se perdre à vélo grâce à l’avènement de la cartographie numérique

Il s’agit là, en fait, de deux évolutions majeures : d’abord, la qualité des bases de données, ensuite, l’ergonomie des applications .

Grâce à une variété d’intérêts (cyclisme et randonnée pédestre notamment) qui ont poussé les contributrices à mieux qualifier les chemins, OpenStreetMap a réussi à dépoussiérer et établir un socle minimal de connaissances des chemins – même si cette connaissance demeure inégale. 

Par ailleurs, les efforts d’ergonomie des applications géolocalisées (Geovelo, Komoot, GMaps) mettent à la portée de chacun, ce que les cartes et GPS d’hier réservaient seulement aux randonneurs ayant des notions cartographiques et un sens de l’orientation. L’interface “turn by turn” rend n’importe quel smartphone très efficace dans un guidage qui prend par la main même les néophytes peu dotés en sens de l’orientation ou qui découvrent une nouvelle région.

Les interfaces des applis de guidages (Google Maps, Apple Plans, Komoot, Geovelo…) ont rendu accessible à tou·te·s la découverte des sentiers. Ici, il s’agit d’écrans de Komoot. 

Une nouvelle offre et une grande variété de vélos réellement “tous chemins”

La R&D dans le domaine du VTT de compétition des années 1990 a permis une meilleure maîtrise des plastiques et l’apparition de confortables pneus “ballons”, moins sujets aux crevaisons, légers et au rendement correct avec une grande variété de références maintenant déployées sur toutes les gammes de vélos.

Depuis 2010, les diamètres de sections de pneus ont doublé. Aujourd’hui, la plupart des vélos – du gravel aux électriques en passant par les cargos – roule avec des pneus de plus de 40mm de section qui étaient jadis l’apanage des VTT. Les faiblesses des premiers “vélos tous chemins” (les “VTC” des années 2000), qui n’allaient jamais bien loin sortis des voies bitumées, se trouvent ainsi compensées. La grande variété des postures et formes cyclistes (gravel, vélos-cargos, longtails, randonneuses et même une partie des vélos pliants), et sur une grande gamme de budgets, a en commun de rouler en pneus “confort”, ce qui ouvre de nouveaux horizons pour la mobilité quotidienne. 

Bien entendu, la démocratisation de l’assistance électrique ouvre également de nouvelles perspectives : elle permet d’aplanir l’expérience des micro-dénivelés ou les plus longues pentes, et d’accompagner la poussée quand le sol est légèrement meuble ou fait de gravier non consolidé. Sauf en haute montagne, le vélo à assistance électrique met à portée de tou·te·s le sentier rural moyen de 3 à 10 kilomètres et une batterie moyenne de 500wh vous poussera sur presque 1000 mètres de dénivelé positif.

A la faveur de ces évolutions matérielles, on voit d’ailleurs apparaître sur les chemins des cyclistes “non sportifs”. Certes, cela donne des trajets où l’on roule plutôt autour de 20 km/h qu’entre 25 et 30km/h mais la qualité du trajet en fait une alternative sérieuse aux routes : même si le trajet est plus long de quelques minutes, on préfère rouler sur un chemin où l’on ne se fait pas frôler par des voitures et des camions lancés à 80 km/h.

Propositions pour faire rouler au quotidien des vélos loin des routes 

La partie qui suit s’adresse aux acteurs publics, pour proposer des premières pistes d’action et de coopération en faveur du vélo du quotidien à la campagne.

Si vous n’êtes ni élu·e·s ni agent·e·s publics, mais que vous êtes convaincu, vous pouvez faire suivre tout ou partie de cet article auprès de vos décideurs locaux : peut-être que cela leur donnera des idées. 

Si vous voulez vous lancer dans la mobilité cyclable sans attendre leur mobilisation, vous pouvez pratiquer l’arpentage de votre bassin de vie en suivant les principes et les étapes très bien décrites dans ce thread twitter de Zerf

Enfin, si vous travaillez dans une collectivité rurale, une Région, un Département, à l’IGN, au Cérema ou au Ministère de la cohésion des territoires ou des transports, nous espérons que ce qui suit vous intéressera.  

Faire l’inventaire, ensemble, pour connaître les chemins et les itinéraires utiles 

On se prend ici à rêver d’une belle coopération entre différents acteurs publics, la société civile organisée, les professionnelles et les particuliers volontaires – un beau travail de transfo publique et de gouvernement ouvert, comme on en voit peu. Elle est techniquement possible, reste à la mettre en musique. L’IGN avec le soutien du CEREMA (dans son rôle d’intégrateur et fort de sa nouvelle gouvernance associant mieux les collectivités locales), pourraient être les orchestrateurs nationaux, pour créer les conditions d’un structuration homogène de la donnée orientée navigation et pour mettre à disposition des acteurs locaux des outils simples leur permettant de documenter et de qualifier l’état des chemins. 

Les collectivités locales auraient tout intérêt à se mobiliser, en confiant à leurs services techniques une mission et des outils leur permettant de participer à l’effort de cartographie fine ou même simplement en ouvrant des données existantes. On pense par exemple aux pistes DFCI (ou voies de défense des forêts contre l’incendie) des pompiers, qui font l’objet d’importantes campagnes de mise à jour et qualifient très finement la viabilité des chemins pour leurs différents véhicules (largeurs de voies, pentes, points noirs etc.), et dont on pourrait très simplement déduire des informations de cyclabilité.

Les collectivités locales pourraient également donner mandat (et soutien financier) aux associations locales pour qu’elles arpentent, jalonnent et qualifient la cyclabilité et la marchabilité des chemins. Un des défis ici est de décloisonner et dé-spécialiser la qualification des chemins par pratique sportive (le VTT, la randonnée, le trail…), au profit d’une mise en commun des critères et des données. Les subventions devraient bien entendu être conditionnées à l’ouverture et au partage des données produites (à l’opposé de certaines pratiques qui penchent vers des formats de données propriétaire).

La mise à disposition et la formation des bénévoles – membres d’associations ou non – à des outils numériques simples de cartographie permettraient de mobiliser la multitude pour construire une connaissance harmonisée de l’état des chemins et hiérarchiser les itinéraires au regard des usages possibles. Une révolution s’opère sur des outils simplifiés de saisie géolocalisée qui permettent à tou·te·s, sans connaissance cartographique, de qualifier le revêtement de sol, la largeur d’un chemin ou son interruption à un endroit précis. 

Installez StreetComplete ou OsmAnd sur votre smartphone, et voilà : vous êtes cartographe et vous nourrissez OpenStreetMap en qualifiant les chemins !

Du coté de l’IGN, fort de sa très haute technicité cartographique, il y a autant un enjeu à dépoussiérer des vieux fonds cartographiques SCAN25 qu’à créer une nouvelle génération de données (notamment, mais pas que, à partir de du programme 3D Lidar) sur les tracés, l’état et la micro-topographie des chemins, ainsi que sur l’intensité des maillages et la “connectivité” des tronçons, la desserte de destinations, et la clarté sur les domanialités. 

Plus généralement en matière de données, on ne peut que saluer les dynamiques de standardisation de la donnée du récent Schéma de données d’aménagements cyclables (et son ingénieuse interopérabilité avec OpenStreetMaps) ou le plus ancien Geostandard des véloroutes et voies vertes qui vise à homogénéiser la qualification des voies vélo en site propre. Mais retenons que ce sont essentiellement des référentiels qui qualifient des aménagements cyclables “lourds”. Cela a le mérite de forcer les collectivités de départager le grain des « aménagements de peinture » que pratiquent encore beaucoup de collectivités. Il faudrait basculer sur un Schéma de données de la cyclabilité des voies : route, chemins, sentiers. Subtile nuance, qui demanderait d’agréger un peu plus de données (nombre de véhicules motorisés par heure, vitesse maximum et vitesse réelle, topographie, largeurs)

On devrait pouvoir y retrouver les largeurs de voies (peut-on y passer en vélo cargo, une remorque enfant ou même un vélo adapté?) la présence d’un enherbement central, l’état de surface du chemin. Et pourquoi pas des données dynamiques sur le drainage du sol, s’il est boueux en hiver ou comme nous en font la démonstration les helvètes qui intègrent en temps réel les fermetures de chemins sur l’appli nationale Swisstopo.

Hiérarchiser, choisir, investir dans les chemins et dans leur maintenance

Une fois l’inventaire fait au plus près des chemins, on pourrait prendre un pas de recul, à l’échelle des communes ou des vieux cantons (on n’a pas fini de les regretter, ceux-là, qui souvent correspondaient à des vrais bassins de vie), avec le soutien méthodologique des intercommunalités, des Pays et/ou des Régions (en fonction de qui se sent concerné par les mobilités douces à la campagne) et du Cerema, pour imaginer des plans de circulation territoriaux, au sens politique du terme. La récente et passionnante note “Assurer la sécurité des cyclistes en milieu rural” de la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB) est à cet égard passionnante et très utile. 

Il s’agit de hiérarchiser les voies, peut-être d’accepter de déclasser certaines routes communales pour en réserver l’accès motorisé aux seuls riverains et agriculteurs, et de formaliser des cheminements pratiques (et non pas seulement touristiques) et sécurisés pour les cyclistes. Dans la Manche, des petites routes départementales seront bientôt réservées aux piétons et aux cyclistes, avec bien entendu les riverains. Au-delà de l’immense progrès et du confort ainsi offert aux mobilités douces, y compris pour des enfants ou des débutants, cette logique permettrait sans doute des économies substantielles aux collectivités locales en termes d’entretien du linéaire bitumé. 

Aux côtés de ces routes déclassées, les chemins identifiés comme stratégiques auraient un rôle majeur à jouer pour ramifier le réseau et atteindre une myriades d’adresses, y compris les plus éloignées des centralités. On est à rebours des annonces sur l’élargissement d’une route qui permettrait d’aller plus vite plus loin mais ne desservirait que très peu d’adresses et aurait l’inconvénient d’accélérer l’aspiration “par le haut” des éléments qui font la vie du territoire. Ici, on re-vitaliserait réellement les campagnes et leurs petites centralités commerciales, culturelles et administratives. 

Au fond, il s’agit d’inventer une politique publique des chemins bien distincte de celle – modeste – qui est adossée aux politiques touristiques. En effet, si les itinéraires touristiques et sportifs font l’objet d’une certaine attention (voir par exemple le programme de crowdsourcing des traces Outdoor Vision) et d’investissements des collectivités locales (et de 10 millions d’euros de l’État et du Céréma en 2023), on a vu qu’ils ne correspondaient pas aux critères d’un réseau de la mobilité quotidienne. Une fois les chemins à fort potentiel d’usage quotidien identifiés, il s’agit donc de construire des politiques locales d’aménagement et d’entretien. 

Les sommes en jeu sont sans commune mesure avec celles consenties pour les routes, mais elles ne sont pas nulles. Au-delà des enjeux financiers, il y a un savoir-faire local à reconstruire, d’entretien des chemins, avec des déclinaisons très matérielles : si on conçoit et dimensionne les voies selon les dimensions des véhicules et engins qui sont appelés à les construire puis à les entretenir, le parc automobile et machine des services techniques a pris du poids en retour et pourrait être bien en peine d’aller du jour au lendemain travailler sur les chemins, avec un usage des matériaux présents sur place autant que possible. Ici, des partenariats sont à construire avec les agriculteurs, posant avec toujours plus d’acuité la (juste) rémunération de ceux-ci pour les services écologiques rendus. 

Rendre accessible l’information pour des usages quotidiens 

Pour les acteurs publics, il ne s’agit pas seulement de garantir dans la durée les conditions de la production, de la structuration et de l’entretien de la connaissance sur les chemins : il s’agit aussi d’assurer les conditions de la médiation de cette connaissance auprès de toutes et tous. Pour cela, il nous semble important que la puissance publique réinvestisse le champ des rendus cartographiques afin de rendre lisible les informations, de les sélectionner et de les hiérarchiser, de donner à la lectrice les moyens de choisir les informations qu’elle souhaite ou non lire. 

Le travail de cartographe, souvent vu à tort comme une sorte d’agrégateur boulimique de données localisées, porte précisément sur ce travail de hiérarchie de l’information et de soin porté au rendu, en cohérence avec les usages souhaités et le niveau d’acculturation cartographique des usagers. Ce savoir-faire, qui n’existe ni au sein des collectivités locales ni au sein de la plupart des acteurs associatifs, porte autant sur l’extrême rigueur graphique des cartes papier que sur les styles graphiques des outils cartographiques numériques, qui doivent relever le défis de la cohérence et de la lisibilité dans un contexte de mouvements de zoom/dézoom continus. Google Maps et Apple Plans investissent d’ailleurs de grands moyens dans ces qualités graphiques et interactives et s’approchent maintenant d’une granularité de représentations proche du 1/1000e, notamment pour la navigation piétonne urbaine (on surveille avec Julien de Labaca le partenariat entre Londres et Google Maps sur la cyclabilité), loin devant l’ancien fleuron de l’IGN au 1/25000e.

Ce n’est pas d’hier que, chez Vraiment Vraiment, nous invitons les acteurs publics à résister à la douce tentation de déléguer aux GAFAM les usages cartographiques populaires (cf l’article “Espace public : Google a les moyens de tout gâcher — et pas qu’à Toronto”). Il nous semble a minima indispensable que les opérateurs publics, IGN en tête, investissent les usages peu solvables. Si Google Maps investit autant la cartographie de la ville et la cyclabilité urbaine, c’est pour mieux vendre la mise en relation des usagères avec des opérateurs de transport urbain (trottinettes, uber etc.) ou pour mettre en valeur des destinations marchandes. Rien d’aussi solvable dans nos mobilités rurales ! Aussi, au-delà de son rôle de producteur et grossiste de données, il nous semble important que l’IGN se positionne sur le “dernier kilomètre cartographique” à l’ère numérique, pour apporter dans les mains et le quotidien des gens des cartes et des rendus utiles (et beaux !) comme à la grande époque des cartes papier. 

Cela implique de relever deux défis. D’une part, tenir compte de la grande diversité des besoins des usagers potentiels en matière de rendus cartographiques numériques, avec des acteurs qui ont des enjeux techniques et sémantiques très variés. Cela implique aussi de gérer des rendus multi-scalaires, qui font le succès de Maps (on passe son temps à zoomer et dézoomer une carte numérique). 

D’autre part, il s’agirait de ne pas oublier la carte physique, papier, celle qu’on garde en souvenir d’une rando mythique, celle qu’on accroche à un mur chez soi ou dans une école, celle qu’on distribue dans le carnet de correspondance, celle sur la grille de l’entreprise… On accorde trop peu d’attention à l’accessibilité de ces objets, tant pour celles et ceux qui ne savent ou ne veulent pas installer une énième appli que pour celles et ceux qui sont mal à l’aise avec la navigation tactile. 

Carte artisanale des chemins cyclables réalisée “à la main” par Zerf 51 à destination de ses collègues de l’usine. On ne sait pas pourquoi cela ne fait pas partie des affichages obligatoires des entreprises. Surtout lorsqu’on connaît le coût par employée du foncier de parking.

L’actualité de l’IGN, et notamment les projets cartes.gouv.fr et MaCarte.ign.fr, semblent prometteurs – reste bien entendu à voir si les promesses sont tenues au-delà de la mutualisation d’hébergement et du re-branding. 

Un exemple de service public cartographique qui fait rêver : Swisstopo. Très accessible, avec une courbe d’apprentissage progressive, de magnifiques rendus du relief alpin, des outils hyper performants de planification d’itinéraire …et la fermeture des chemins vélo et piétons en temps réel. 

Pour conclure, rien de tel qu’un peu de mise en pratique participative ! N’’hésitez pas à arpenter vos contrées pour y repérer les chemins et sentiers qui mériteraient d’être mieux considérés dans les plans de mobilité des vos collectivités. A titre d’exemple, nous l’avons fait sur deux territoires ruraux : la Côte des Isles, dans la Manche, et le territoire au nord de Montpellier. 

Sur la Côtes des Isles – et comme dans beaucoup de régions littorales. Trois infrastructures routières desservent les centralités littorales. La très roulante D650 où les 80km/h ne sont jamais respectée. La D124 escarpée et aux virages aveugles dans le bocage ou le “chemin de Carteret”, route à peine transformée en mauvais chaucidou de peinture (tel qu’il est recommandé de ne plus les faire). Or, plusieurs chemins traversent l’arrière dune et les havres. Ils permettraient de relier de façon quasi-rectiligne toutes les communes de bord de mer (depuis Denneville en passant par Portbail jusque Carteret). Les chemins sont assez mal qualifiés par les cartes IGN et n’apparaissent pas dans les itinéraires touristiques. Certains tronçons mériteraient de petits aménagements (restauration du petit pont piéton, gestion du sable sur quelques tronçons etc.), mais globalement pour une fraction du budget d’une piste cyclable le tracé permettrait de relier 10 km de côtes et une demi-douzaine de bourgs/petite-villes.

Au nord de Montpellier, la nationale 109 et son prolongement dans l’autoroute A750 constituent la porte d’entrée de la métropole pour un large ensemble de communes péri-urbaines (Montarnaud, Vailhauquès, Murles, Saint-Paul-et-Valmalle, etc.). Trait d’union quotidien de travailleur·euses et lycéen·nes, cette infrastructure routière catalyse l’urbanisation (croissante) de ces villages et tend à canibaliser chemins et infrastructures secondaires. Or d’autres modes de déplacement sont possibles dans ce secteur. La départementale DE14 qui longe la nationale pourrait, par exemple, être requalifiée en voie cyclable pour sécuriser près de la moitié du trajet pour les usagers qui se rendent ou reviennent de Montpellier. Par ailleurs, les chemins qui traversent la garrigue – relativement bien entretenus – apparaissent comme des opportunités à la mobilité cyclable. L’Ancien Chemin de Fer Montpellier-Rabieux ou encore les cheminements qui sillonnent Bel Air – en particulier l’Ancien Chemin de Vailhauquès à Montpellier forment un réseau secondaire sous exploité. La toponymie de ces voies cachées ou oubliées ouvre la voie à une ré-appropriation d’un passé qui peut inspirer quelques leçons utiles à nos politiques actuelles de mobilité.

État de la connaissance des chemins sur OpenStreetMap

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Chemin probablement cyclable

Chemin sans qualification de la cyclabilité

Voie cyclable

Carte réalisée par Vraiment Vraiment avec tilemaker et mapboxgl.js, données OSM Novembre 2022

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1 mètre carré, 1000 usages : le plan et l’agenda

Temps de lecture : 7 minutes

Le plan spatial est au cœur du travail et de la négociation du projet architectural. Il nous semble important que l’agenda trouve aussi une place au cœur de tout projet de construction/rénovation : ordonner dans le temps d’une semaine ou d’une année des usages qui « s’enchaînent » dans un même espace est indispensable pour intensifier utilement les usages des mètres carrés. 

Cet article de Vraiment Vraiment est paru dans le dossier de Construction 21 « Intensifier les usages des mètres carrés de nos villes » coordonné par Eléonore Slama et Sylvain Grisot.

Les acteurs d’un projet architectural peuvent parler du plan pendant des jours – à juste titre, car il est par définition structurant. Les futurs occupants sont appelés à spécifier leurs besoins en termes de surface et de caractéristiques spatiales, avant que les contraintes budgétaires et techniques ne forcent à reconsidérer les ambitions de tout le monde. Une fois sorti de terre et inauguré, on s’apercevra peut-être que la salle d’animation périscolaire à côté de la bibliothèque était une bonne idée sur le papier…, sauf les deux soirs par semaine où le club d’échecs, avec ses joueurs concentrés, utilise, précisément, la bibliothèque. Ou que le clubhouse du gymnase aurait fait un parfait lieu de vie de quartier, si son accès n’avait pas été pensé exclusivement pour les trois associations sportives du gymnase.

C’est que le travail sur le plan, seul, est insuffisant pour favoriser des usages à la fois intenses et compatibles. Il est nécessaire, pour cela, de travailler également sur l’agenda du futur lieu. Et ce, dès les tous premiers stades de la conception du projet. Est-ce que l’entièreté de l’équipement aura les mêmes amplitudes horaires, même après 18 h, et même le week-end ? Comment prévenir les conflits d’usages d’espaces mitoyens qui se succèdent mal ? Qui doit être chargé de gérer cet agenda partagé d’espaces partagés ? 

Vraiment Vraiment n’a ni 30 ans d’expertise à faire valoir sur le sujet, ni de solution toute faite. Dans le cadre du projet de recherche « Lieux Publics Intensifiés » ou dans nos projets, nous explorons différentes façons de mettre « le planning » au cœur de la conception puis du fonctionnement des lieux qui se prêtent à la mutualisation et à l’intensification des usages (équipements scolaires, logements sociaux, bureaux, espaces publics…) à différentes phases du projet (programmation, maîtrise d’œuvre, etc.). Ce sont ces expérimentations, récentes ou en cours, que nous présentons ici. 

Dialoguer autour de l’agenda d’une bâtisse pour créer du lien social 

Vraiment Vraiment a accompagné une municipalité dans le Puy-de-Dôme dans la définition des nouveaux usages, les pistes de gestion et d’activation transitoires d’une bâtisse au cœur du village. L’actualité brûlante des enjeux des centres-bourgs, de ZAN, de bilan carbone des constructions neuves, obligent les collectivités à ne plus sélectionner des implantations d’équipement uniquement sur l’expansivité des volumes constructibles, mais à privilégier fortement la bonne adresse : quitte à ajuster le programme au regard des capacités de l’existant. Ici, un bâtiment d’à peine 100 m2 au sol, en périmètre classé, au carrefour entre la mairie, l’école et les commerces du bourg. Puisque les coques constructibles ne sont plus infinies ni malléables, ces politiques rurales gagneraient fortement à penser à la chronotopie de chaque pièce.

Les premiers échanges avec les habitants ont fait jaillir de nombreux besoins et envies : accueillir les personnes âgées isolées en hiver, loger des artistes et (télé)travailleurs de passage, héberger des activités sportives, d’artisanat, de soin, de loisirs… Dans le cadre d’une réhabilitation, la forte contrainte spatiale a forcé une réflexion autour de l’agenda, pour faire cohabiter ou se croiser tous ces usages différents. Les outils de discussion – de négociation dans cet espace contraint – avec les habitants doivent tout de suite poser la question de la granularité du quotidien. C’est le problème d’une programmation ouverte de lieu : on y projette rapidement la « grande » vie sociale, les quelques grands jalons de festivités annuelles. Mais pas les mille petites raisons qui en font une petite destination récurrente (le mercredi après-midi ou à 22 h, quand le café ferme et qu’il n’y a plus de lieu pour se retrouver), l’objet d’un petit détour, et à la fin, un lieu de rencontre quotidienne.

La photo illustre ici un des outils de l’agence pour aider habitants et associations à se projeter très concrètement dans les temporalités quotidiennes, hebdomadaires et saisonnières, à agencer tous les usages imaginés dans un même espace en fonction de leur fréquence, de leur saisonnalité, de leurs besoins, et surtout à éviter l’effet d’empilement programmatique « chacun son local, chacun son bureau ». À titre d’exemple : une des orientations chronotopiques que l’outil a permis de faire sortir, tant sur le projet bâtimentaire que sur le réaménagement de l’espace public, est sa résonance avec ce bref mais stratégique moment que représente la sortie d’école, quelques numéros plus loin. La superposition d’usages projetés, dans un temps contraint sur un espace étroit, a révélé le besoin d’élargir généreusement ce trottoir qui les lie pour en faire un parvis.

Pour favoriser la durabilité de ce cadre, le projet a conduit à élaborer un guide sur la gestion, à destination des porteur·ses de projet, dans lequel est détaillé la programmation (et donc la chronotopie des espaces), la création d’un métier de gestionnaire-concierge, des questions de gouvernance à envisager ou encore une stratégie économique pour le lieu.

Expérimenter l’ouverture du réfectoire à d’autres usages (et d’autres horaires) 

Dans le cadre de la construction d’un nouveau collège, Vraiment Vraiment est mobilisée aux côtés des architectes pour que le futur équipement consacre une attention particulière aux usagers et à leurs besoins. La question de l’intensification des usages en journée s’est vite imposée pour le réfectoire : la monofonctionnalité de cet espace, 2 heures par jour, 5 jours sur 7, contraste avec les nombreuses qualités architecturales qu’on lui prête : un espace généreux, lumineux, facilement accessible et capable d’accueillir bien plus que deux services par jour. Pour résoudre la difficile équation plus d’usages / moins de conflits de gestion, nous expérimentons actuellement sur un collège voisin l’utilisation du réfectoire en dehors des heures de service.

La donnée temporelle est la porte d’entrée pour comprendre le fonctionnement de cet espace, tout autant que l’outil de discussion avec les différentes parties prenantes (agentes d’entretien, conseillers techniques de la restauration, gestionnaire d’établissement…) autour de la question au cœur de l’ouverture du réfectoire : par qui, quand et comment est nettoyé cet espace dont l’usage principal nécessite une attention d’hygiène particulière ?

Nous avons enquêté sur les outils de gestion internes dont ils disposent, observé le rythme de l’espace in situ et travaillé en atelier sur un nouveau modèle de gestion.

En demandant aux agentes de raconter leur tâches quotidiennes, nous remarquons que celles avant la restauration et après sont interchangeables. En revanche, le réfectoire commence à être exploité dès 10h30.

Parallèlement, la discussion autour du planning des assistants d’éducation qui encadrent et surveillent un collège fait ressortir le manque d’espace pour les heures de permanence et la possibilité qu’un AED emmène un nombre précis d’élèves au réfectoire (élèves en demande d’espaces de détente au sein du collège…).

L’ensemble de ces données issues de la rencontre entre la donnée temporelle, le taux d’usage et la gestion nous permet de dresser le cahier des charges du réfectoire du futur. Une zone de détente y complètera l’offre d’espaces mis à disposition des élèves n’ayant pas cours dès 14 h. Elle doit être située proche de la sortie de la restauration pour éviter d’avoir à traverser les cuisines et/ou salir l’ensemble du self. Elle est délimitée car elle ne doit accueillir qu’une trentaine d’élèves pour ne mobiliser qu’un AED et est facilement identifiable (signalétique, mobilier de même couleur). Son mobilier doit tant permettre le repas que des activités liées à la détente en après-midi. La présence de cloisons mobiles permettra de protéger la ligne de self en dehors des temps du repas.

Pour l’entretien, il est décidé que les agentes nettoieront cette zone du self en amont du service (et non plus juste après). Pour éviter l’effet purée sur cahier, les collégien·nes du deuxième service ayant accès à cette zone attractive doivent en contrepartie nettoyer leur table grâce à une desserte mise à leur disposition et ainsi soulager le travail des agentes. Une convention claire sera passée entre les AED et les agentes de restauration. Il est même envisagé que le nettoyage des tables du réfectoire se fasse en amont des services et non plus à la fin.

C’est donc un nouvel espace qui a fait irruption dans la vie quotidienne de l’établissement grâce à l’analyse fine de la donnée temporelle. Ce travail, en cours d’expérimentation, a pour objectif d’affiner le scénario d’usage en le testant/amendant avec des usagers types afin d’acculturer en interne les services, infuser la mission mobilier, l’aménagement et le projet d’établissement du futur collège.

Légitimer tous les usages de la piscine via le calendrier

Utiliser le planning comme support de débat pendant la conception architecturale d’un équipement scolaire nous aura permis de transformer l’aménagement d’un espace pour assurer son utilisation tout au long de la journée. Pendant la programmation d’un équipement rural, il permet d’accueillir une palette d’usages variés. Dans ce troisième et dernier exemple, il légitimise une diversité d’usages : Vraiment Vraiment est intervenu pour aider à repenser l’offre de services et l’identité d’une piscine dans les Yvelines afin de reconquérir visiteur·euse·s et abonné·e·s, mais aussi d’en attirer de nouvelles·aux.

Dans un contexte où les usages « nobles » (= où la médaille est le principal indicateur de réussite d’une politique sportive) prenaient beaucoup d’espaces (= de créneaux de ligne d’eau) au point de créer du non-recours pour les autres usagers, il était nécessaire de revaloriser tous les usages, en les « dé-hiérarchisant », dans un lieu accessible et ouvert à tous·tes.  

Une première esquisse de l’agenda « spatial/temporel » (ci-dessous), réunissant sur la même illustration usages/horaires/plan a permis d’aboutir à une signalétique modulaire, affichée dans le hall aux yeux de tous (ci-dessous).

Signalétique modulaire, affichée dans le hall de la piscine.

Ce partage d’usages légitimes a facilité la compréhension de la cohabitation des usages (l’oisiveté/la compétition, la vitesse/la lenteur, la solitude/le collectif…) au regard des heures et lignes d’eau. En s’affichant au mur, le planning prévient les conflits entre des usagers/usages qui pouvaient paraître incompatibles et légitimise leur présence.

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Logement social : les communs ne se décrètent pas, ils se conçoivent

Temps de lecture : 6 minutes

Depuis plus d’un an, Vraiment Vraiment accompagne Paris Habitat* aux côtés de l’agence Djuric Tardio Architectes dans la rénovation de la résidence Alphonse Karr (Paris 19e). L’objectif ? Réhabiliter les espaces communs et améliorer la qualité de service des logements. 

Dans cette résidence se côtoient de nombreuses familles, jeunes et enfants en bas âge. Mais la population vieillissante de la résidence et l’absence d’aménagements adéquats dans les cours d’immeubles rendent la cohabitation difficile. La place des enfants dans les espaces communs ne fait pas consensus et cristallise les tensions du voisinage. Ces derniers se retrouvent souvent évincés des espaces de jeu extérieurs – ils sont perçus comme perturbateurs par certains voisins, ou encore trop bruyants le soir et l’après-midi, habituels temps de repos pour les personnes âgées et les travailleurs nocturnes. 

Si les habitants sont nombreux à souhaiter accorder plus de place aux enfants, peu souhaitent les voir jouer sous leurs fenêtres. Alors, comment créer un cadre de cohabitation apaisée ? Cet exemple montre l’importance de réfléchir ensemble, pour inventer de nouveaux modes de gestion des espaces de vie “communs”, c’est-à-dire des espaces réellement partagés qui deviennent une ressource pour toute une communauté. 

Derrière la rénovation d’une résidence, il n’y a pas que des plans, mais tout une ingénierie sociale de l’habiter à repenser : les communs ne se décrètent pas, ils se conçoivent avec les habitants qui en ont besoin. 

Comment faire ?

Le partage des espaces communs à l’échelle d’une résidence, d’un lotissement ou d’un quartier ne va pas de soi, c’est un équilibre fin qui se construit avec les acteurs en présence, pas à pas, en se posant les questions concrètes de la vie quotidienne. En tant que designers et assistance à maîtrise d’usage (AMU), notre métier repose sur quelques étapes fondamentales. 

D’abord, nous observons (et écoutons) le problème : en déplaçant notre regard, en écoutant vraiment tous ceux qui ont des choses à dire – habitants, enfants, personnes isolées, techniciens, agents publics, adolescents… C’est ce que l’on appelle l’immersion. C’est sans doute l’étape la plus importante de notre démarche, car il faut être prêt à dialoguer, à observer, à être dans une posture d’écoute bienveillante et parfois de médiation, pour libérer la parole et l’écoute mutuelle, en allant jusqu’à observer les usages et mésusages – parfois même la nuit. C’est ainsi qu’à Alphonse Karr, nous avons compris que préserver des temps où les enfants profitent des extérieurs, c’est aussi préserver les seuls moments où les parents de familles monoparentales peuvent se retrouver au calme en surveillant leur enfant depuis leur fenêtre, tandis que les aînés peuvent faire leur devoir dans des appartements autrement surchargés.  

Ensuite, nous créons la communauté de projets sur laquelle repose la conception de solutions en allant vers les publics les plus éloignés des cercles de concertation et de participation habituels. Sans cette communauté, nous n’irions pas bien loin, car ce sont les usagers et habitants, c’est-à-dire les premiers concernés par le problème, qui sont le plus à-même de le résoudre. Dans les projets urbains, nous cherchons par exemple à capter des jeunes adolescent.e.s, des mamans isolées, des personnes âgées qui ne sortent presque jamais de chez elles, des adolescent.e.s ou jeunes hommes installés dans les halls. Nous avons vite compris que la résidence avait évolué en inadéquation avec leurs besoins car ils n’avaient pas voix au chapitre.  

Nous développons aussi une ingénierie d’atelier pour outiller la communauté de projet et mettre l’habitant-usager en position de contribuer réellement et concrètement, grâce à des outils accessibles et appropriables. Une fois le problème identifié à Alphonse Karr, nous avons organisé des ateliers de co-conception auxquels nous avons invité différents profils d’usagers, y compris ceux qui était contre la présence des enfants dans les cours, afin de réfléchir à la gestion partagée de ces communs. 

Cette méthodologie nous permet de croiser toutes les échelles : nous allons rencontrer les habitants, les gardiens d’immeubles, les gestionnaires de résidences, les agents municipaux. Lorsque l’on travaille sur un projet de rénovation, cette attention à l’articulation des échelles des usages est fondamentale. Par exemple, la question de la gestion des déchets démarre dans le placard de sa cuisine, passe par la ressourcerie de son quartier et l’armoire partagée entre voisins de palier, pour aller jusqu’au bac composteur géré par un collectif d’habitants. C’est à partir de cet enchaînement d’usages, trop souvent oublié par le travail des architectes, que le designer travaille pour apporter des réponses. 

Cette approche nous mène jusqu’à la question de la gestion des nouveaux services ou équipements imaginés avec les habitants. Souvent, les dispositifs communs ne fonctionnent pas car ils n’ont pas sollicité l’expertise d’usage des premiers concernés lors de leur conception, ou qu’ils n’ont pas été pensés à l’échelle du quotidien – les horaires de passage des habitants, les nuisances générées, les différents usages du jour et de la nuit… À la question de l’espace, nous ajoutons donc la question du temps des usages (c’est ce qu’on appelle la chronotopie) et celle de la gestion ultra-locale (par exemple en imaginant la nouvelle fiche de poste d’un gardien).

Une fois le diagnostic posé et une ou plusieurs solutions proposées, il n’est pas envisageable de demander à toute une résidence, à des usagers aux habitudes parfois très différentes et fortement ancrées, de faire évoluer leurs pratiques quotidiennes du jour au lendemain. Il faut tester les solutions conçues collectivement, en conditions réelles, pour les mettre à l’épreuve du quotidien et laisser le temps aux choses de s’installer, pour que la (ré)appropriation par les habitants advienne – c’est là l’ambition de l’urbanisme transitoire. 

Tout l’enjeu du test et du droit à l’erreur consiste à s’autoriser à mettre le doigt sur ce qui ne fonctionne pas pour que les solutions développées puissent être enrichies et ajustées. Pour en revenir à l’exemple des cours d’enfants, nous allons tester au printemps des heures de présence des enfants dans les cours à la sortie de l’école, ainsi qu’un mobilier créé sur-mesure pour permettre de déployer et replier facilement une aire de jeu. Cette microarchitecture permettra de partager l’espace, de sanctuariser des heures où le jeu est toléré et des heures de calme. La phase de test permettra aussi d’expérimenter la gestion de cette activité – par une association, un gardien Paris Habitat, ou un collectif habitant… On touche ici à la gouvernance des communs et de nouveaux modes de responsabilisation autour d’une ressource partagée.

En pleine crise énergétique, faire des habitant·e·s des partenaires de la rénovation

Ces projets d’aménagement nous montrent qu’il est nécessaire de sortir des murs du logement pour penser l’habiter, que des plans d’architecte ne suffisent pas à résoudre les questions du quotidien et que la réponse à la question “comment habiter ma résidence/mon appartement/mon quartier demain ?” ne saurait être uniquement spatiale. 

Un projet de rénovation réussi, c’est un projet qui reconnaît le pouvoir d’agir des habitants, qui les considère  comme des partenaires et les intègre pleinement à la démarche. C’est un projet qui pose la question des usages, des services, de leur gestion et de la réappropriation des logements. C’est un projet qui permet d’expérimenter sans imposer de nouvelles pratiques quotidiennes, en sortant d’une vision naïve de la collaboration facile de tous avec tous, qui adopte un principe de réalité pour imaginer les cohabitations au-delà du bâti. 

C’est pourquoi l’AMU et l’urbanisme transitoire ne sont pas une fin en soi, mais plutôt un véhicule pour nourrir le projet des architectes et maîtrises d’œuvre. Si l’architecture ne peut pas tout résoudre, notre métier est bien in fine d’outiller la vie et les usages dans le projet architectural à long terme. Alors que la crise énergétique va rendre la question de la rénovation du parc de logement social plus critique encore qu’auparavant, les bailleurs sociaux et les maîtres d’oeuvre ont à leur disposition de nouveaux outils pour faire des habitants des partenaires à part entière. 

*Paris Habitat est l’office public de l’habitat de la Ville de Paris.

Ce texte est initialement paru dans le n°80 de la revue Passion Architecture (avril – mai – juin 2022). Il a été marginalement modifié.

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Agir avec Bruno Latour (2) – Ré-apprendre à faire politique

Temps de lecture : 9 minutes

Pour réfléchir aux “métamorphoses de l’action publique”, un petit groupe d’agents publics, designers, chercheurs et praticiens politiques se réunit régulièrement à l’invitation de Vraiment Vraiment. Le 9 mars 2021, ce groupe a eu le plaisir d’échanger avec Bruno Latour, Maÿlis Dupont et Baptiste Perrissin-Fabert pour chercher les ponts et le commun entre la pensée et les actions de Bruno Latour et de ses complices, et celles du groupe et de ses membres. Après un premier texte publié dans la foulée avec Mathilde François, Nicolas Rio, de Partie Prenante, propose ici une deuxième volet pour « agir avec Bruno Latour ».

En mars dernier, nous avions publié un article avec Mathilde François intitulé « Agir avec Bruno Latour » dans la foulée de la rencontre organisée par Vraiment Vraiment sur les métamorphoses de l’action publique. On y partageait la conviction que la pensée de Latour peut nous aider à s’orienter et à agir dans le nouveau régime climatique.

Neuf mois plus tard, deuxième volet de la série pour passer de la théorie à la pratique, en espérant qu’il donne l’envie à d’autres de prendre la plume. Après les territoires, la démocratie. Car les écrits de Latour encouragent à dépasser les constats fatalistes sur la crise de la démocratie représentative, autant qu’ils mettent en garde sur les limites de la démocratie participative. Ce que je comprends en lisant Latour, c’est qu’il nous faut ré-apprendre à faire politique, au local comme au national, élu.e.s comme citoyen.ne.s. 

Comme le précédent, ce papier est à prendre comme une réflexion en cours et une invitation à engager la discussion. Je ne suis pas un spécialiste de Latour, mais un praticien de l’action publique qui essaie, à tâtons, de voir comment on peut transformer la théorie en pratiques. 

Trouver les maux d’une démocratie mal-entendante

Des muets parlent à des sourds : voilà comment Bruno Latour résume les dysfonctionnements de notre démocratie. Écrit pendant le Grand Débat organisé au lendemain de la crise des Gilets Jaunes, son article dans la revue Esprit explique l’impossibilité du dialogue entre élu.e.s et citoyen.ne.s, du fait de la dépolitisation du débat public.

La formule a le mérite de ne pas pointer un coupable unique, en mettant en vis-à-vis les difficultés de l’État (ou des collectivités) avec celles de la société. Nous l’avions vu avec Manon Loisel lors de notre travail sur les élu.e.s locaux.ales : lorsqu’on parle de crise démocratique, chacun.e est tenté.e de rejeter la faute sur l’autre. Les citoyen.ne.s reprochent à leurs élu.e.s de ne pas les représenter, et d’être en décalage avec leurs aspirations. Et les élu.e.s reprochent aux citoyen.ne.s leur individualisme consumériste et leur désintérêt pour la chose publique (« la preuve, ils ne viennent même plus voter ! »). Latour dépasse cette opposition en montrant que le blocage est double « à l’émission comme à la réception. (…) Ni le « peuple » ne semble capable d’articuler des positions politiques compréhensibles par le gouvernement ; ni le « gouvernement » ne semble capable de se mettre à l’écoute d’une revendication quelconque. » 

Le deuxième intérêt de cette formule consiste à souligner les limites de la démocratie participative, pour compenser les travers du modèle représentatif. Il ne suffit pas d’inverser la logique : que « des muets tentent de s’adresser à des sourds », pas sûr que la discussion en devienne plus audible ! Si le dialogue apparaît impossible, ce n’est pas (seulement) parce qu’il manque des espaces d’échange, mais parce qu’on ne parvient plus à construire une parole politique. « Qu’est-ce qu’une parole engagée ou engageante par opposition à des paroles qui ressemblent à des clics sur un réseau social ? Pourquoi le prix à payer pour les premières est-il si lourd au point qu’elles semblent s’être tout à fait raréfiées ? Mais parce qu’elles ne proviennent aucunement d’un « moi, je pense avec conviction que ». Loin de venir des profondeurs de l’individu, (une parole politique) doit continuer d’aller à la pêche de ce que les autres, plus loin dans la chaîne, en feront. » Parler politique ne peut être qu’un geste collectif : ce qui transforme une prise de parole en acte politique, c’est sa volonté de faire exister un acteur collectif capable d’en faire quelque chose. C’est sa capacité à élargir le « nous » à des personnes qui ne sont pas de la même opinion mais qui appartiennent au même tissu d’interdépendances.

Et c’est là le troisième apport de la réflexion de Latour : faire le lien entre crise de la démocratie et nouveau régime climatique. Si le dialogue entre le peuple et son gouvernement devient si peu audible, c’est que plus personne n’est en mesure de qualifier notre monde commun. Plus que la démocratie, ce qui est en crise selon Latour, c’est la notion même de « société » tant elle est associée au projet moderne : distinction nature-culture qui exclut les non-humains de la (vie en) société, frontières des États-Nations (et des collectivités) structurellement en décalage avec nos territoires de subsistance, construction d’un « appareil d’État » conçu comme un super-ingénieur en charge de la modernisation du pays… Il nous faut donc trouver d’autres moyens de définir ce qui nous unit, et ce qui justifie qu’on se dote d’une puissance publique pour veiller à l’habitabilité de nos territoires.

La formule présente un quatrième intérêt, autour de la place des non-humains dans la question démocratique. Les travaux de Latour nous encouragent à élargir notre repérage des inaudibles. Les muets désignent aussi bien les précaires et les migrant.e.s, que les arbres et les abeilles. Et la COP 2026 nous rappelle que les gouvernements sont aussi sourds pour entendre la colère sociale que les soulèvements de la terre. Inutile donc d’opposer les ami.e.s des bêtes et les défenseurs.ses des humains, car il s’agit du même problème : comment réussir à (faire) entendre toutes celles et ceux qui sont aujourd’hui réduits au silence ? 

Latour ne se contente pas de dresser le constat d’un dialogue démocratique impossible, il explore des outils (presque) opérationnels qui pourraient permettre d’en sortir. Je voudrais ici attirer l’attention sur deux d’entre eux : la cartographie des controverses et les cahiers de doléances

Les controverses pour remettre en mouvement la vie démocratique

Dans un monde de l’action publique structurée par l’injonction au consensus, l’approche par les controverses proposée par Latour apporte une bouffée d’air. Et si, au lieu de formuler des orientations générales, les projets de territoire se focalisaient sur la cartographie des controverses et leur mise en débat ? Cartographier une controverse, c’est partir de chaque point de friction de notre vie collective pour en repérer la diversité des parties prenantes, décrypter les arguments et les instruments qu’elles mobilisent, suivre les coalitions qui se forment (et se déforment) au gré des débats. C’est replacer l’incertitude au cœur de la démocratie, en sortant de la dissociation artificielle entre la science (qui serait en charge de dire le vrai) et la politique (qui serait en charge de dire le bon).

C’est surtout prendre conscience que la ligne de compromis ne cesse d’évoluer, en fonction notamment de la façon dont on formule le problème. C’est ce travail qu’on entreprend chaque printemps avec des étudiant.e.s de Sciences Po dans le séminaire « les mots d’ordre de l’action publique locale » animé avec Manon Loisel. Attractivité, lutte contre l’étalement urbain, revitalisation des villes moyennes… À chaque fois, on tente de déplier toutes les divergences qu’il y a derrière des mots d’ordre apparemment consensuels, pour tracer la transformation des politiques publiques et la recomposition des acteurs en présence. 

De la régulation des pesticides à la densification urbaine en passant par la décarbonation de l’économie ou la gestion des pénuries d’eau : l’action publique est pleine de controverses ! Mais le plus souvent, celles-ci échappent à la vie démocratique. Soit les controverses sont cantonnées à un débat d’experts dans des espaces feutrés, soit elles virent au conflit dans lequel la délibération peine à trouver sa place. Et quand les citoyen.ne.s sont saisi.e.s, ils.elles le sont sur des questions à la fois très générales et très cadrées, en faisant comme si la controverse n’existait pas. Le Grand Débat initié par Emmanuel Macron est l’archétype de cet art de l’esquive. La Convention Citoyenne sur le Climat aurait pu à l’inverse être un bon espace de mise en débat démocratique de la controverse sur la taxe carbone (reformulée en « Atteindre une baisse d’au moins 40% des émissions de carbone dans un esprit de justice sociale »). Mais les productions de la CCC ne nous disent rien (ou si peu) des désaccords qui ont agité ses membres et de la recomposition des lignes de clivage en son sein. Pourtant, comme le dit Pierre Charbonnier, l’écologie ne nous rassemble pas, elle nous divise. Ou plutôt, elle fait les deux en même temps ! Et c’est tout l’intérêt de la cartographie des controverses que de rappeler que les parties prenantes ont beau défendre des positions divergentes, elles appartiennent toutes au même problème. C’est le problème qui fait le public, ne cesse de répéter Latour en citant John Dewey.

Dans nos missions auprès des collectivités, c’est par la technique du débat mouvant qu’on parvient à réintroduire (un peu) de controverses. Le principe est simple : soumettre une proposition potentiellement clivante, en invitant les participant.e.s à prendre position physiquement (d’un côté les pour, de l’autre les contre) puis à échanger des arguments en laissant chaque personne libre de changer de position au fil du débat. Au-delà du contenu des échanges, le débat mouvant oblige les organisateurs à identifier les sujets de controverses et à en trouver la bonne formulation. On retrouve cette logique dans le format « tribunal des générations futures » initié par la revue Usbek et Rica, qui reprend les codes de la Justice pour structurer la controverse.

Des cahiers de doléances aux États Généraux

Pour repolitiser notre vie démocratique, Latour propose un second outil : l’élaboration des cahiers de doléances. Si Latour fait référence à cet exercice qui a précédé les États Généraux de 1789, c’est qu’il y voit un processus de construction de la chose publique (et donc un préalable indispensable à la République). Ce qui compte, c’est le travail d’écriture collective mené dans chaque canton pour définir des revendications communes à partir d’une description du territoire de subsistance. Au fond, on en revient au principe de l’éducation populaire (qu’elle se fasse sur les ronds-points ou au sein d’associations). En transformant des difficultés individuelles en indignations collectives, la discussion crée un lien politique entre les personnes qu’elle implique. « L’étrange propriété des énoncés politiques » nous dit Latour, « c’est qu’ils ont pour tâche –éminemment provisoire, risquée, fragile – de produire ceux qui les énoncent ! ». 

Ce lien politique ne s’arrête pas là, car tout l’enjeu de l’éducation populaire consiste à rendre possible la rencontre des personnes confrontées à un même problème avec d’autres personnes/institutions potentiellement en capacité de modifier cette situation, pour montrer qu’en dépit de leurs intérêts divergents, elles appartiennent à un même collectif. D’une certaine manière, on peut considérer que les rapports du GIEC et de l’IPBES sont l’équivalent des cahiers de doléances du nouveau régime climatique. En mobilisant les instruments scientifiques pour se mettre à l’écoute des non-humains, ils s’attachent à décrire leurs conditions d’existence et à qualifier leurs besoins d’action publique. En ce sens, ils contribuent à introduire les écosystèmes vivants à la table des négociations et à en faire des « citoyen.ne.s-capables-d’expression ».

C’est là qu’on aurait envie de pousser la proposition de Latour un cran plus loin, en essayant d’imaginer à quoi ressembleraient les États Généraux du nouveau régime climatique. Il avait bien essayé en 2015, avec la simulation de la COP21 intitulée « Make it work », où les délégations de l’Amazonie, des pôles ou des peuples aborigènes côtoyaient celles du Brésil, de la France ou des États-Unis. Mais le ton très policé de ce « théâtre des négociations » apparaissait bien pâle face à l’atmosphère des États Généraux de 1789, si bien restituée par Joël Pommerat dans sa pièce Ça ira, fin de Louis. Qui pour convoquer les États Généraux du nouveau régime climatique et qui pour y siéger ? Quel est aujourd’hui l’équivalent du Tiers États qui n’est rien mais qui aspire à devenir quelque chose ? La pièce de Pommerat rappelle que la tension des États Généraux ne fonctionne que parce qu’on ne connaît pas la fin : impossible d’écrire l’histoire si l’issue est donnée d’avance. 

Rendre la parole aux muets… et rendre l’ouïe aux sourds ?

La proposition des cahiers de doléances amène une seconde réserve. Lorsqu’on parle de crise démocratique, la plupart des propositions visent à « donner la parole aux muets » en favorisant l’expression citoyenne. Mais qu’en est-il des sourds ? Travailler la capacité d’écoute des élu.e.s et des institutions publiques apparaît pourtant comme une condition sine qua non pour rendre le dialogue possible. On peut même faire l’hypothèse que faire parler les muets sans rendre l’ouïe aux sourds ne ferait qu’accentuer la défiance dans la démocratie (hypothèse confirmée par la plupart des démarches participatives laissées sans suite).

Rendre les sourds entendant : plus facile à dire qu’à faire ! Sans avoir de solution miracle, je vois trois pistes à explorer :

  • La première porte sur l’importance des témoignages dans la vie démocratique, et la nécessité de renforcer leur place dans l’action politique. Le mouvement #metoo illustre la puissance politique du témoignage vécu, quand le récit à la première personne entre en résonance avec d’autres. La Commission Sauvé sur les violences sexuelles dans l’Église a montré que la méthode pouvait être répliquée dans un cadre plus institutionnel. C’est par sa capacité à combiner écoute des victimes et analyse quantitative que la CIASE est parvenue à rendre incontestable la dimension systémique du problème. Reprise par la Commission sur l’inceste, cette attention au témoignage des victimes permet de déplacer la responsabilité du problème. « On dit beaucoup qu’il faut parler, aller porter plainte… On le fait ! Mais le problème, c’est que personne n’écoute » relate une des personnes auditionnées. Et si on transposait cette méthode sur d’autres sujets, de l’état des services publics à la lutte contre les pesticides ? Et si on remplaçait les auditions d’expert.e.s par des témoignages d’expériences, quels en seraient les effets sur le débat politique et l’action publique ?
  • Une deuxième piste concerne le rôle des instances de médiations pour fluidifier le dialogue entre les citoyen.ne.s et la puissance publique (qu’elle soit incarnée par ses élu.e.s ou ses administrations), face à la saturation des guichets. La montée en puissance du Défenseur des Droits souligne la nécessité d’avoir des tiers pour faire entendre les protestations légitimes de citoyen.ne.s confronté.e.s à la surdité des institutions. Elle démontre aussi l’enjeu de combiner travail d’objectivation et prise en compte des ressentis subjectifs pour parvenir à créer une qualité d’écoute. C’est en tout cas l’enseignement qu’on tire du travail mené sur les sentiments d’injustice avec la Métropole de Lyon
  • La troisième piste consiste à transformer le fonctionnement des instances démocratiques. Des Conseils municipaux aux séances de l’Assemblée Nationale, les espaces délibératifs officiels sont souvent réduits à une fonction de caisse enregistreuse. Si les « représentants du peuple » continuent de s’exprimer dans ces Parlements, cela donne surtout le sentiment que nos élu.e.s sont condamné.e.s à s’écouter parler (parfois à leur corps défendant). Transformer l’expression politique en parole d’écoute, voilà sans doute le principal défi de notre démocratie. Ré-apprendre à faire politique vous disiez ?

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Collectivités territoriales Design d'intérêt général Espaces publics Urbanités

La place

Temps de lecture : 3 minutes

Marthe Pommié nous fait le plaisir de nous confier ce texte court, écrit bien avant son arrivée, il ya quelques jours, à la tête du programme « Nouveaux lieux, nouveaux liens » de l’ANCT, sur la place dont on semble manquer partout et sur les places qui attendent qu’on les prenne, dans un nouveau geste d’aménagement du territoire à hauteur de citoyens.

Il manque toujours de la place. De la place pour circuler, de la place pour se loger, des places en crèche, en hébergement d’urgence, en maison de retraite, des places à l’hôpital, parfois à l’école.

Nous nous sentons à l’étroit, dans nos appartements, sur nos trottoirs, dans nos bus, sur nos routes, sur les plages l’été, partout. À l’étroit dans nos vies : la terre promise du salariat débouche sur la dépression professionnelle ou le chômage, l’avenir de l’entreprenariat débouche sur uber et deliveroo, et ainsi de suite. À l’étroit dans nos têtes : qu’est-ce qui est bien ou mal, pour qui voter, tel ou tel complot est-il vrai, quel avenir suis-je en train de construire pour mes enfants ?

Il n’y a plus de place, nous sommes trop nombreux, la réponse malthusienne coule de source. Migrants, vieux, pauvres, chacun sa cible, chacun son excédent.

Certains répondront : il y a de la place, elle n’est simplement pas au bon endroit. À la campagne, il y a des maisons en ruine, des écoles qui ferment, des villages qui s’éteignent. La métropolisation : la concentration sur de petits territoires d’une intense activité économique qui attire une population nombreuse. Le manque de place serait dû à une sous-utilisation de l’espace, elle-même due au capitalisme mondial, aux choix politiques d’aménagement territorial, à l’évolution de la production de biens et de services. 

Et s’il y avait en fait, aussi, de la place qu’on ne voyait pas ? Des places dont la puissance publique est même parfois propriétaire, y compris en plein cœur de ces endroits saturés d’humains à l’étroit ? Si nous nous saisissions de ces espaces vides, pour proposer des places aux habitants ?

L’action publique, c’est d’abord une question de maîtrise foncière, c’est d’abord la question de la terre. Ressource première, nécessaire, nous avons tous les pieds posés quelque part. Toutes les politiques publiques convergent vers la fabrication d’espaces, qu’elles le veuillent ou non. Elles polarisent les habitats, encouragent ou découragent les constructions, concentrent ou déconcentrent les pouvoirs, les activités, facilitent ou complexifient le télétravail, l’installation d’entreprises, l’ouverture de services publics. En d’autres temps on appelait ça l’aménagement du territoire, aujourd’hui reléguée au rang de politique publique parmi d’autres. 

Aménager un territoire depuis Paris, c’était bon pour Robespierre. Et encore : quand on observe la carte des départements, on se dit qu’il devait bien le connaître, le territoire de France, pour le découper ainsi. L’idéal aujourd’hui, dans notre société de masse, c’est le sur-mesure pour tous. Chacun doit avoir son idée, au niveau « local », de ce qui convient le mieux là où il est. Mais quel niveau local ? La région, le département, la commune ? Le quartier ? L’îlot ? La question reste posée depuis Paris. 

Si on partait des espaces vides, de ces dents creuses étrangement invisibles alors que la place est devenue une ressource rare de nos sociétés contemporaines ? L’échelle c’est l’homme. Il s’agit alors de créer des espaces dans lesquels les gens fabriquent leur propre place. L’humain passe son temps à reconquérir inlassablement les mêmes sommets. L’action publique doit reconquérir l’aménagement du territoire, et cette reconquête passera par ces vides pour en faire des tremplins. 

À chaque lieu son programme, à chaque habitant son idée : la fameuse co-construction de la politique publique trouve là matière à vivre. Un lieu idéal pourrait articuler service public (là une crèche, ici une maison de santé, quel service manque le plus cruellement pour vous, voisins ?) et une part d’initiative citoyenne. Oui, c’est un peu un gros mot, initiative citoyenne. Les gens qui vivent à l’étroit ont peur les uns des autres… Ouvrir des espaces qui favorisent et nourrissent les conditions des échanges entre humains – pour qu’ils aient vraiment lieu. Pousser les murs et pousser les consciences.

Bâtiments, terrains, champs, usines… Vides aujourd’hui, ouverts demain. Nouvelles pierres angulaires de l’aménagement du territoire, pour offrir de l’espace, un espace public, une place, un lieu de ralliement, de soutien, un lieu où chacun a les moyens, et donc la liberté, d’inventer sa place. 

A Marseille, un essai de mise en pratique

 A Marseille, l’Etat met à disposition pendant trois ans un bâtiment dont il est propriétaire, temporairement inoccupé, en plein cœur du centre de la ville. Sans donner les clés, sans décider de l’usage de chaque mètre carré, le projet d’occupation s’est construit dans un dialogue entre les différents partenaires, grâce à l’intermédiation d’un laboratoire d’innovation publique qui a porté cette nouvelle façon de travailler. D’une verrue urbaine, le lieu – Cocovelten – est devenu à la fois un espace dont tous les habitants peuvent se saisir, un lieu d’hébergement pour personnes sans-abris, un lieu de bureaux pour entreprises et associations, un lieu de convivialité et de restauration accessible. Prochaine étape pour une posture définitivement différente des pouvoirs publics : associer dès le départ les habitants à la programmation de l’usage du lieu, en fonction ce qu’ils identifient être leurs besoins ; devenir partie prenante de l’aménagement de leur lieu de vie, décider, construire.

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Collectivités territoriales Espaces publics Transformation publique

Agir avec Bruno Latour (1) – Ré-apprendre à faire territoire

Temps de lecture : 8 minutes

Pour réfléchir aux « métamorphoses de l’action publique », un petit groupe d’agents publics, designers, chercheurs et praticiens politiques se réunit régulièrement à l’invitation de Vraiment Vraiment. Le 9 mars, ce groupe a eu le plaisir d’échanger avec Bruno Latour, Maÿlis Dupont et Baptiste Perrissin-Fabert pour chercher les ponts et le commun entre la pensée et les actions de Bruno Latour et de ses complices, et celles du groupe et de ses membres. Nicolas Rio et Mathilde François, de Partie Prenante, en ont tiré ce texte, peut-être le premier d’une série « Agir avec Bruno Latour ».

Mardi dernier, à l’invitation de Romain Beaucher et de Vraiment Vraiment, nous avons eu la chance d’engager la discussion avec Bruno Latour sur les nécessaires transformations de l’action publique face à ce qu’il appelle le « Nouveau Régime Climatique ». Les échanges ont ouvert l’appétit, tant la pensée de Latour interpelle notre lecture habituelle de l’Etat, de la société et de la transition écologique. Mais ils laissent aussi sur sa faim. Deux heures d’échanges à batons rompus, c’est bien peu pour passer de la théorie à la pratique !

C’est pourtant l’objectif.  En s’impliquant dans le débat public, Bruno Latour ne se contente pas de renouveler nos grilles de lecture théoriques ; avec ses deux derniers livres, il entend nous aider à s’orienter. Et si on poursuivait la réflexion à l’écrit, pour imaginer ce que voudrait dire « agir avec Bruno Latour » (en écho à la publication Le cri de Gaïa, penser avec Bruno Latour) ? 

Nous nous sommes prêté au jeu, en essayant de clarifier comment la pensée de Latour constitue une ressource pour l’action (publique) et esquisser d’autres questionnements (plus ou moins) opérationnels. Il s’agit d’une lecture subjective, ancrée dans une pratique professionnelle de conseils en coopérations territoriales auprès des collectivités locales et alimentée par les échanges du groupe réuni par VV sur les métamorphoses de l’action publique. Ce papier est à prendre comme un work in progress, écrit à tâtons (c’est le problème des grands penseurs, on n’est jamais sûr de bien les comprendre). Comme une invitation à poursuivre la série : et vous, comment vous agissez / agiriez après avoir lu Bruno Latour ?  

Déplier nos liens de subsistance pour éviter le piège du hors-sol… et du localisme

« Territoire de subsistance » : c’est cette formule qui résumerait le mieux en quoi la pensée de Latour constitue une ressource pour notre travail de consultants et le dialogue qu’on tisse avec les collectivités. Elle nous aide à penser la juste place du local et des territoires, sans tomber dans le piège de croire à leur autonomie totale.

A travers cette formule, Latour élargit notre compréhension des territoires en passent d’une définition cartographique et administrative (« fait territoire tout ce qu’on peut localiser sur une carte en l’entourant d’un trait ») à une définition « éthologique : dites-moi de quoi vous vivez, et je vous dirai jusqu’où s’étend votre terrain de vie » (Où suis-je ?, p. 95). Ce renversement devrait inspirer les nombreux diagnostics que lancent les collectivités au moment d’élaborer leur projet de territoire. Le but n’est pas d’avoir une photographie la plus objective possible de ce qu’il y a à l’intérieur d’un périmètre, mais de dresser la « liste des interactions avec ceux dont on dépend », quels qu’ils soient et où qu’ils soient. Latour souligne l’importance de ce travail de description lent et difficile, au croisement entre l’individuel et le collectif, pour tirer l’ensemble des fils qui participent à notre (sur)vie et observer la géographie en réseau qui s’en dégage. Il l’a d’ailleurs testé, sous forme d’ateliers expérimentaux à Saint-Junien et à la Châtre, au croisement entre les arts vivants et l’éducation populaire. Ou comment la théorie de l’acteur-réseau devient une boussole à mettre dans le main de tout élu local  !

Cette définition a le mérite de montrer qu’il est impossible de réduire un territoire à un périmètre géographique, avec une démarcation nette entre un dedans et un dehors. Latour n’est pas le seul à l’affirmer, d’autres l’ont dit avant lui (on pense aux travaux de Daniel Béhar, Philippe Estèbe et Martin Vanier, ou Laurent Davezies et Magali Talandier sur les systèmes territoriaux, ou encore ceux de Sabine Barles sur les métabolismes urbains). En introduisant la notion de « subsistance » en lien avec la question climatique, Latour rend cette vision encore plus actuelle, et plus tangible à l’échelle individuelle. Il souligne aussi que l’attention au sol et à la terre ne peut se réduire à une certaine fascination pour le local : « Atterrir ce n’est pas devenir local – au sens de la métrique usuelle – mais capable de rencontrer les êtres dont nous dépendons, aussi loin qu’ils soient en kilomètres. » (Où suis-je ? p. 96). Comme tout organisme vivant, les territoires sont une entité « hétérotrophes » nous dit Latour, c’est-à-dire qu’ « ils dépendent d’autres formes de vie pour exister ». Il serait donc vain d’en rechercher l’autonomie complète.

Un autre apport de Latour pour les politiques territoriales consiste à dépasser la notion « d’environnement », qui conduirait à dissocier le territoire comme réalité physique (« naturelle ») et le territoire comme réalité humaine (« artificielle »). La notion de « zone critique » souligne au contraire leur imbrication… et sa fragilité. Les territoires sont une composition entre une multiplicité de vivant qui doivent cohabiter au sein d’une zone critique (cette fine couche allant du sous-sol à l’atmosphère, qui rend la vie possible). Les humains ne sont qu’un des occupants parmi d’autres de cet écosystème vivant et fragile, en permenante recomposition. Et ils sont comme les autres, confrontés à la nécessité de maintenir l’habitabilité de cette zone critique de plus en plus mise à mal, pour permettre à la vie de perdurer. « On ne peut plus s’échapper, mais on peut habiter d’une autre façon le même lieu, ce qui fait reposer toute l’acrobatie sur les nouvelles manières de se situer autrement au même endroit » (Ou suis-je ? p71)

Reprendre la carte en main pour réussir à se repérer

Pour résumer, on pourrait retenir trois principes d’action à partager avec les collectivités locales pour engager ce travail d’auto-description collective :

  • Accepter de se laisser désorienter pour regarder dans toutes les directions et y rechercher des indices. Avant de sortir la boussole proposée par Latour, il faut d’abord assumer d’être un peu perdu. « Où sommes-nous ? » : la question n’est plus une évidence, quand la globalisation est venue brouiller notre géographie de subsistance et que l’anthropocène fait que la terre s’effrite sous nos pieds en remettant en cause les conditions d’habitabilité de chaque morceau de territoire. En somme, Bruno Latour nous invite à éteindre notre GPS (qui nous dit où aller sans nous permettre de savoir où on se trouve : dans 300m, prenez à droite et restez sur la voie de gauche) et à reprendre une bonne vieille carte IGN (quels sont les éléments du territoire environnant qui pourraient nous aider à savoir où nous nous trouvons ?). 
  • Partir de notre quotidien pour suivre les relations de subsistance sur lesquelles il repose, pour voir ensuite les géographies que cela dessine. Pour tracer nos territoires, il nous faut donc repartir de nos besoins primaires (se nourrir, se loger, se vêtir…) puis remonter progressivement (« de proche en proche ») leurs chaînes d’approvisionnement. D’où viennent les boites de conserves que j’achète dans mon supermarché ? Qui a fabriqué la laine de mon pull et qui l’a mélangé à du polyesther ? Un travail d’enquête qui peut emmener loin du territoire de départ, qui n’est pas sans rappeler le film Louise-Michel de Kervern et Delépine, quand une ouvrière du textile cherche désespérement à mettre la main sur le responsable de la fermeture de son usine. La notion d’empreinte carbone comme celle de métabolisme urbain aident à outiller ce travail, en donnant à voir le poids des émissions importées et l’ampleur des connexions que la globalisation a longtemps cherché à invisibiliser. Le confinement du printemps dernier en a donné un premier aperçu, tout comme l’incendie du serveur OVH au moment où j’écris ces lignes : je ne pensais pas que ma vie numérique dépendait d’un entrepôt strasbourgeois). 
  • Prendre conscience de la diversité des acteurs dont on dépend, et la rendre visible. Voilà l’enjeu de tout diagnostic territorial, quel que soit le sujet abordé. Le but n’est plus de construire des agrégats statistiques et d’en mesurer les variations, mais de déplier une chaîne de subsistance composée de plusieurs maillons (qui peuvent être plus ou moins nombreux, et plus ou moins distants). Cette description redonne toute sa force politique au travail de diagnostic. D’une part, elle suppose d’assumer une certaine fragilité : mon territoire dépend des autres, tout comme ceux qui l’occupent. D’autre part, elle crée des obligations nouvelles : « Si vous avez enregistré avec peine ces formes de vie, c’est qu’elles mordent sur la description et qu’elles vous engagent à les prendre en considération. (…) Plus votre description devient précise, plus elle vous oblige » (Où suis-je ?, p. 96).

Décrire nos territoires de subsistance. Et après ? 

Ces principes posés, trois questions demeurent comme autant de difficultés pour passer à l’action. La première porte sur les consignes proposées par Latour pour décrire le territoire de subsistance. Latour invite chacun à faire la liste de ce dont il dépend, c’est-à-dire ce qui lui permet de subsister. Ne faudrait-il pas aussi effectuer la réciproque : quels sont les vivants qui dépendent pour subsister du territoire que j’occupe au quotidien ? Cette question nous semble encore plus forte dans sa capacité d’interpellation des collectivités et de la population d’un territoire. Elle montre que ce n’est pas qu’une question de vulnérabilités (« je dépends des autres ») mais aussi de responsabilités (« d’autres dépendent de mon territoire, et de ma capacité à en prendre soin »). Elle invite à élargir les acteurs en présence aux autres vivants avec qui nous devons (ré)apprendre à cohabiter sur la zone critique. Cela renvoie à la notion d’inter-dépendances mise en avant par Baptiste Morizot, pour souligner l’importance d’inventer de nouvelles pratiques diplomatiques inter-espèces… et inter-territoires !

La deuxième question est d’ordre pratique, et nous accompagne dans nombre de nos missions auprès des collectivités. Supposons qu’on arrive à cartographier nos territoires de subsistance : que faire de cette cartographie ? Comment la gouverner collectivement ? Et là les écrits de Latour apportent peu de réponses (les chercheurs sont surtout là pour nous poser des questions, nous direz-vous). Ca donne pourtant envie de savoir comment cette notion de subsistance apporte un cap à la gouvernance inter-territoriale défendue par Martin Vanier depuis une décennie (reprise par les collectivités avec les contrats de réciprocité et le mot d’ordre « alliance des territires »). Peut-on reprendre prise sur nos relations de subsistance pour en faire « des liens qui libèrent » ? L’exemple des Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne apporte une piste intéressante pour le passage à l’action. L’objectif des AMAP consiste en effet à assumer l’interdépendance entre un paysan et des consommateurs dans leur subsistance réciproque, et à la contractualiser en s’engageant sur l’année pour partager les risques de récoltes aléatoires. Les AMAP ne cherchent pas à revenir à une agriculture vivrière, elles assument le partage des rôles entre des « mangeurs » et des paysans. Elles ne visent pas non plus l’autonomie territoriale : de nombreuses AMAP ont des partenariats avec des paysans situés à plusieurs centaines de kilomètres. L’intérêt des circuits courts repose moins sur la proximité géographique, que sur la suppression des intermédiaires pour rendre (à nouveau) tangible ces situations d’interdépendances. Une AMAP contribue à relier deux lieux distincts pour montrer qu’ils forment un même territoire de subsistance. Et voilà que des citadins parisiens deviennent préoccupés par les conditions météo du sud de la Seine-et-Marne et de ses conditions d’habitabilité pour la faune et la flore. Crue de la Seine, gel tardif, invasion des altises du fait de la sécheresse…

La troisième question est plus problématique, dans le passage de l’individuel au collectif. Car à la question posée par Latour (« de quels acteurs / quels territoires dépendez-vous pour subsister ? »), chaque habitant risque d’apporter une réponse différente. On peut être voisins tout en ayant des modes de consommation opposées : entre le retraité qui cultive son potager, le cadre d’industrie qui fait ses courses sur Amazon et le jeune couple qui fréquente le drive fermier tout en renouvelant son smartphone chaque année, ces trois géographies se recoupent peu. Que reste-t-il de commun dans la cohabitation de « terrains de vie » aussi différenciés ? Quelle est la capacité du (pouvoir) local à organiser l’alignement de ces géographies de subsistance ? La question explique peut-être la préoccupation croissante à créer du commun à l’échelle locale. Elle apporte en tout cas un nouveau regard sur le « projet de territoire », en montrant que « faire territoire » est une quête sans cesse recommencée. Là aussi, les AMAP constituent un exemple éclairant. Au-delà du lien avec les paysans, ces associations contribue aussi à structurer une « communauté de subsistance » entre une diversité d’habitants d’un quartier qui partagent la même (inter)dépendance auprès d’une ferme et de son maraîcher. Cet exemple pourrait être transposé à d’autres sujets : on voit des initiatives similaires émerger sur la question de l’eau, de l’énergie ou des forêts. De la même façon, les fermetures de commerces, restaurants et équipements durant le confinement ont révélé l’existence de ces communautés de subsistance qui existent à l’état latent autour de chaque point d’approvisionnement. Ces exemples rappellent que le sentiment d’appartenance à un territoire commun n’est pas une affaire de marketing territorial ou de communication institutionnelle (comme le pratiquent nombre de collectivité), mais un enjeu beaucoup plus prosaïque qui passe par la capacité à mutualiser nos interdépendances.

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[PODCAST] Marion Waller : comment continuer à « réinventer Paris » ?

Temps de lecture : < 1 minute

Vraiment Vraiment invite régulièrement des personnalités pour petit-déjeuner, le vendredi, et parler parcours, expériences, pensée et action. Comme nous trouvons que ces petit-déjeuners sont passionnants, nous avons décidé d’en faire des podcasts, dont voici la troisième édition, en compagnie de Marion Waller.

Marion, philosophe de formation, est directrice-adjointe du cabinet de Jean-Louis Missika, adjoint à la Maire de Paris chargé de l’urbanisme, de l’architecture, des projets du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité. Dans ce cadre, elle a beaucoup contribué à la conception et à la mise en oeuvre des programmes « Réinventer Paris ».

Elle revient dans cette discussion sur les réussites et les limites de ce nouveau mode de fabrique de la ville, et dessine des perspectives pour la suite…que nous sommes heureux-ses de partager avec vous !

Vraiment Vraiment · MARION WALLER

Prochain épisode : Francis Rol-Tanguy, Ingénieur général honoraire des ponts, des eaux et des forêts, membre de nombreux cabinets ministériels entre 1981 et 2015, ancien secrétaire général du Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et du Ministère du logement. Il sera question de transformation publique…

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Chemin probablement cyclable

Chemin sans qualification de la cyclabilité

Voie cyclable

Carte réalisée par Vraiment Vraiment avec tilemaker et mapboxgl.js, données OSM Novembre 2022

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Collectivités territoriales Design d'intérêt général Espaces publics Mobilités Soin et attention

Let us rethink public space right now (for tomorrow)

Temps de lecture : 10 minutes

Eight challenges and a package of proposals so that physical distancing does not have us die of grief.

One point in the French prime minister Edouard Philippe’s address on TV last Sunday (April 26th) has to be remembered: the shift from the terrible and much misnamed “social distancing” that prevailed until that day, to the “physical distancing” stance. However, the global challenge in front of us remains huge; but at least, it becomes liveable. How to revive desirable shapes of social life while respecting sufficient distance, while not relying on a potentially ineffective tracking App. which presents risks in terms of personal freedoms?

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Demain (maintenant), l’espace public.

Temps de lecture : 10 minutes

8 défis et quelques propositions pour que la distanciation physique durable ne nous fasse pas mourir de chagrin.

S’il y a un élément du discours de dimanche soir d’Edouard Philippe qu’on peut saluer, c’est l’apparition de la notion de “distanciation physique” en lieu et place de la terrible et bien mal-nommée “distanciation sociale” jusque-là officiellement recommandée. Le défi n’en demeure pas moins immense, mais au moins il est vivable :  comment, demain, renouer avec des formes désirables de vie sociale, tout en respectant une distance suffisante pour limiter la transmission du covid et sans tout miser sur une appli de tracking porteuse de risques en matière de libertés et potentiellement peu efficace ? 

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[ PODCAST] Google va-t-il tuer nos villes ?

Temps de lecture : < 1 minute

Podcast de l’émission « Ainsi va la ville », proposée par Paul Citron, Lolita Voisin et Olivier Gaudin sur Radio Cause Commune et diffusée le 10 février 2020.

Ecouter l’émission via le site de Radio Cause Commune.

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