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1 mètre carré, 1000 usages : le plan et l’agenda

Temps de lecture : 7 minutes

Le plan spatial est au cœur du travail et de la négociation du projet architectural. Il nous semble important que l’agenda trouve aussi une place au cœur de tout projet de construction/rénovation : ordonner dans le temps d’une semaine ou d’une année des usages qui « s’enchaînent » dans un même espace est indispensable pour intensifier utilement les usages des mètres carrés. 

Cet article de Vraiment Vraiment est paru dans le dossier de Construction 21 « Intensifier les usages des mètres carrés de nos villes » coordonné par Eléonore Slama et Sylvain Grisot.

Les acteurs d’un projet architectural peuvent parler du plan pendant des jours – à juste titre, car il est par définition structurant. Les futurs occupants sont appelés à spécifier leurs besoins en termes de surface et de caractéristiques spatiales, avant que les contraintes budgétaires et techniques ne forcent à reconsidérer les ambitions de tout le monde. Une fois sorti de terre et inauguré, on s’apercevra peut-être que la salle d’animation périscolaire à côté de la bibliothèque était une bonne idée sur le papier…, sauf les deux soirs par semaine où le club d’échecs, avec ses joueurs concentrés, utilise, précisément, la bibliothèque. Ou que le clubhouse du gymnase aurait fait un parfait lieu de vie de quartier, si son accès n’avait pas été pensé exclusivement pour les trois associations sportives du gymnase.

C’est que le travail sur le plan, seul, est insuffisant pour favoriser des usages à la fois intenses et compatibles. Il est nécessaire, pour cela, de travailler également sur l’agenda du futur lieu. Et ce, dès les tous premiers stades de la conception du projet. Est-ce que l’entièreté de l’équipement aura les mêmes amplitudes horaires, même après 18 h, et même le week-end ? Comment prévenir les conflits d’usages d’espaces mitoyens qui se succèdent mal ? Qui doit être chargé de gérer cet agenda partagé d’espaces partagés ? 

Vraiment Vraiment n’a ni 30 ans d’expertise à faire valoir sur le sujet, ni de solution toute faite. Dans le cadre du projet de recherche « Lieux Publics Intensifiés » ou dans nos projets, nous explorons différentes façons de mettre « le planning » au cœur de la conception puis du fonctionnement des lieux qui se prêtent à la mutualisation et à l’intensification des usages (équipements scolaires, logements sociaux, bureaux, espaces publics…) à différentes phases du projet (programmation, maîtrise d’œuvre, etc.). Ce sont ces expérimentations, récentes ou en cours, que nous présentons ici. 

Dialoguer autour de l’agenda d’une bâtisse pour créer du lien social 

Vraiment Vraiment a accompagné une municipalité dans le Puy-de-Dôme dans la définition des nouveaux usages, les pistes de gestion et d’activation transitoires d’une bâtisse au cœur du village. L’actualité brûlante des enjeux des centres-bourgs, de ZAN, de bilan carbone des constructions neuves, obligent les collectivités à ne plus sélectionner des implantations d’équipement uniquement sur l’expansivité des volumes constructibles, mais à privilégier fortement la bonne adresse : quitte à ajuster le programme au regard des capacités de l’existant. Ici, un bâtiment d’à peine 100 m2 au sol, en périmètre classé, au carrefour entre la mairie, l’école et les commerces du bourg. Puisque les coques constructibles ne sont plus infinies ni malléables, ces politiques rurales gagneraient fortement à penser à la chronotopie de chaque pièce.

Les premiers échanges avec les habitants ont fait jaillir de nombreux besoins et envies : accueillir les personnes âgées isolées en hiver, loger des artistes et (télé)travailleurs de passage, héberger des activités sportives, d’artisanat, de soin, de loisirs… Dans le cadre d’une réhabilitation, la forte contrainte spatiale a forcé une réflexion autour de l’agenda, pour faire cohabiter ou se croiser tous ces usages différents. Les outils de discussion – de négociation dans cet espace contraint – avec les habitants doivent tout de suite poser la question de la granularité du quotidien. C’est le problème d’une programmation ouverte de lieu : on y projette rapidement la « grande » vie sociale, les quelques grands jalons de festivités annuelles. Mais pas les mille petites raisons qui en font une petite destination récurrente (le mercredi après-midi ou à 22 h, quand le café ferme et qu’il n’y a plus de lieu pour se retrouver), l’objet d’un petit détour, et à la fin, un lieu de rencontre quotidienne.

La photo illustre ici un des outils de l’agence pour aider habitants et associations à se projeter très concrètement dans les temporalités quotidiennes, hebdomadaires et saisonnières, à agencer tous les usages imaginés dans un même espace en fonction de leur fréquence, de leur saisonnalité, de leurs besoins, et surtout à éviter l’effet d’empilement programmatique « chacun son local, chacun son bureau ». À titre d’exemple : une des orientations chronotopiques que l’outil a permis de faire sortir, tant sur le projet bâtimentaire que sur le réaménagement de l’espace public, est sa résonance avec ce bref mais stratégique moment que représente la sortie d’école, quelques numéros plus loin. La superposition d’usages projetés, dans un temps contraint sur un espace étroit, a révélé le besoin d’élargir généreusement ce trottoir qui les lie pour en faire un parvis.

Pour favoriser la durabilité de ce cadre, le projet a conduit à élaborer un guide sur la gestion, à destination des porteur·ses de projet, dans lequel est détaillé la programmation (et donc la chronotopie des espaces), la création d’un métier de gestionnaire-concierge, des questions de gouvernance à envisager ou encore une stratégie économique pour le lieu.

Expérimenter l’ouverture du réfectoire à d’autres usages (et d’autres horaires) 

Dans le cadre de la construction d’un nouveau collège, Vraiment Vraiment est mobilisée aux côtés des architectes pour que le futur équipement consacre une attention particulière aux usagers et à leurs besoins. La question de l’intensification des usages en journée s’est vite imposée pour le réfectoire : la monofonctionnalité de cet espace, 2 heures par jour, 5 jours sur 7, contraste avec les nombreuses qualités architecturales qu’on lui prête : un espace généreux, lumineux, facilement accessible et capable d’accueillir bien plus que deux services par jour. Pour résoudre la difficile équation plus d’usages / moins de conflits de gestion, nous expérimentons actuellement sur un collège voisin l’utilisation du réfectoire en dehors des heures de service.

La donnée temporelle est la porte d’entrée pour comprendre le fonctionnement de cet espace, tout autant que l’outil de discussion avec les différentes parties prenantes (agentes d’entretien, conseillers techniques de la restauration, gestionnaire d’établissement…) autour de la question au cœur de l’ouverture du réfectoire : par qui, quand et comment est nettoyé cet espace dont l’usage principal nécessite une attention d’hygiène particulière ?

Nous avons enquêté sur les outils de gestion internes dont ils disposent, observé le rythme de l’espace in situ et travaillé en atelier sur un nouveau modèle de gestion.

En demandant aux agentes de raconter leur tâches quotidiennes, nous remarquons que celles avant la restauration et après sont interchangeables. En revanche, le réfectoire commence à être exploité dès 10h30.

Parallèlement, la discussion autour du planning des assistants d’éducation qui encadrent et surveillent un collège fait ressortir le manque d’espace pour les heures de permanence et la possibilité qu’un AED emmène un nombre précis d’élèves au réfectoire (élèves en demande d’espaces de détente au sein du collège…).

L’ensemble de ces données issues de la rencontre entre la donnée temporelle, le taux d’usage et la gestion nous permet de dresser le cahier des charges du réfectoire du futur. Une zone de détente y complètera l’offre d’espaces mis à disposition des élèves n’ayant pas cours dès 14 h. Elle doit être située proche de la sortie de la restauration pour éviter d’avoir à traverser les cuisines et/ou salir l’ensemble du self. Elle est délimitée car elle ne doit accueillir qu’une trentaine d’élèves pour ne mobiliser qu’un AED et est facilement identifiable (signalétique, mobilier de même couleur). Son mobilier doit tant permettre le repas que des activités liées à la détente en après-midi. La présence de cloisons mobiles permettra de protéger la ligne de self en dehors des temps du repas.

Pour l’entretien, il est décidé que les agentes nettoieront cette zone du self en amont du service (et non plus juste après). Pour éviter l’effet purée sur cahier, les collégien·nes du deuxième service ayant accès à cette zone attractive doivent en contrepartie nettoyer leur table grâce à une desserte mise à leur disposition et ainsi soulager le travail des agentes. Une convention claire sera passée entre les AED et les agentes de restauration. Il est même envisagé que le nettoyage des tables du réfectoire se fasse en amont des services et non plus à la fin.

C’est donc un nouvel espace qui a fait irruption dans la vie quotidienne de l’établissement grâce à l’analyse fine de la donnée temporelle. Ce travail, en cours d’expérimentation, a pour objectif d’affiner le scénario d’usage en le testant/amendant avec des usagers types afin d’acculturer en interne les services, infuser la mission mobilier, l’aménagement et le projet d’établissement du futur collège.

Légitimer tous les usages de la piscine via le calendrier

Utiliser le planning comme support de débat pendant la conception architecturale d’un équipement scolaire nous aura permis de transformer l’aménagement d’un espace pour assurer son utilisation tout au long de la journée. Pendant la programmation d’un équipement rural, il permet d’accueillir une palette d’usages variés. Dans ce troisième et dernier exemple, il légitimise une diversité d’usages : Vraiment Vraiment est intervenu pour aider à repenser l’offre de services et l’identité d’une piscine dans les Yvelines afin de reconquérir visiteur·euse·s et abonné·e·s, mais aussi d’en attirer de nouvelles·aux.

Dans un contexte où les usages « nobles » (= où la médaille est le principal indicateur de réussite d’une politique sportive) prenaient beaucoup d’espaces (= de créneaux de ligne d’eau) au point de créer du non-recours pour les autres usagers, il était nécessaire de revaloriser tous les usages, en les « dé-hiérarchisant », dans un lieu accessible et ouvert à tous·tes.  

Une première esquisse de l’agenda « spatial/temporel » (ci-dessous), réunissant sur la même illustration usages/horaires/plan a permis d’aboutir à une signalétique modulaire, affichée dans le hall aux yeux de tous (ci-dessous).

Signalétique modulaire, affichée dans le hall de la piscine.

Ce partage d’usages légitimes a facilité la compréhension de la cohabitation des usages (l’oisiveté/la compétition, la vitesse/la lenteur, la solitude/le collectif…) au regard des heures et lignes d’eau. En s’affichant au mur, le planning prévient les conflits entre des usagers/usages qui pouvaient paraître incompatibles et légitimise leur présence.

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Logement social : les communs ne se décrètent pas, ils se conçoivent

Temps de lecture : 6 minutes

Depuis plus d’un an, Vraiment Vraiment accompagne Paris Habitat* aux côtés de l’agence Djuric Tardio Architectes dans la rénovation de la résidence Alphonse Karr (Paris 19e). L’objectif ? Réhabiliter les espaces communs et améliorer la qualité de service des logements. 

Dans cette résidence se côtoient de nombreuses familles, jeunes et enfants en bas âge. Mais la population vieillissante de la résidence et l’absence d’aménagements adéquats dans les cours d’immeubles rendent la cohabitation difficile. La place des enfants dans les espaces communs ne fait pas consensus et cristallise les tensions du voisinage. Ces derniers se retrouvent souvent évincés des espaces de jeu extérieurs – ils sont perçus comme perturbateurs par certains voisins, ou encore trop bruyants le soir et l’après-midi, habituels temps de repos pour les personnes âgées et les travailleurs nocturnes. 

Si les habitants sont nombreux à souhaiter accorder plus de place aux enfants, peu souhaitent les voir jouer sous leurs fenêtres. Alors, comment créer un cadre de cohabitation apaisée ? Cet exemple montre l’importance de réfléchir ensemble, pour inventer de nouveaux modes de gestion des espaces de vie “communs”, c’est-à-dire des espaces réellement partagés qui deviennent une ressource pour toute une communauté. 

Derrière la rénovation d’une résidence, il n’y a pas que des plans, mais tout une ingénierie sociale de l’habiter à repenser : les communs ne se décrètent pas, ils se conçoivent avec les habitants qui en ont besoin. 

Comment faire ?

Le partage des espaces communs à l’échelle d’une résidence, d’un lotissement ou d’un quartier ne va pas de soi, c’est un équilibre fin qui se construit avec les acteurs en présence, pas à pas, en se posant les questions concrètes de la vie quotidienne. En tant que designers et assistance à maîtrise d’usage (AMU), notre métier repose sur quelques étapes fondamentales. 

D’abord, nous observons (et écoutons) le problème : en déplaçant notre regard, en écoutant vraiment tous ceux qui ont des choses à dire – habitants, enfants, personnes isolées, techniciens, agents publics, adolescents… C’est ce que l’on appelle l’immersion. C’est sans doute l’étape la plus importante de notre démarche, car il faut être prêt à dialoguer, à observer, à être dans une posture d’écoute bienveillante et parfois de médiation, pour libérer la parole et l’écoute mutuelle, en allant jusqu’à observer les usages et mésusages – parfois même la nuit. C’est ainsi qu’à Alphonse Karr, nous avons compris que préserver des temps où les enfants profitent des extérieurs, c’est aussi préserver les seuls moments où les parents de familles monoparentales peuvent se retrouver au calme en surveillant leur enfant depuis leur fenêtre, tandis que les aînés peuvent faire leur devoir dans des appartements autrement surchargés.  

Ensuite, nous créons la communauté de projets sur laquelle repose la conception de solutions en allant vers les publics les plus éloignés des cercles de concertation et de participation habituels. Sans cette communauté, nous n’irions pas bien loin, car ce sont les usagers et habitants, c’est-à-dire les premiers concernés par le problème, qui sont le plus à-même de le résoudre. Dans les projets urbains, nous cherchons par exemple à capter des jeunes adolescent.e.s, des mamans isolées, des personnes âgées qui ne sortent presque jamais de chez elles, des adolescent.e.s ou jeunes hommes installés dans les halls. Nous avons vite compris que la résidence avait évolué en inadéquation avec leurs besoins car ils n’avaient pas voix au chapitre.  

Nous développons aussi une ingénierie d’atelier pour outiller la communauté de projet et mettre l’habitant-usager en position de contribuer réellement et concrètement, grâce à des outils accessibles et appropriables. Une fois le problème identifié à Alphonse Karr, nous avons organisé des ateliers de co-conception auxquels nous avons invité différents profils d’usagers, y compris ceux qui était contre la présence des enfants dans les cours, afin de réfléchir à la gestion partagée de ces communs. 

Cette méthodologie nous permet de croiser toutes les échelles : nous allons rencontrer les habitants, les gardiens d’immeubles, les gestionnaires de résidences, les agents municipaux. Lorsque l’on travaille sur un projet de rénovation, cette attention à l’articulation des échelles des usages est fondamentale. Par exemple, la question de la gestion des déchets démarre dans le placard de sa cuisine, passe par la ressourcerie de son quartier et l’armoire partagée entre voisins de palier, pour aller jusqu’au bac composteur géré par un collectif d’habitants. C’est à partir de cet enchaînement d’usages, trop souvent oublié par le travail des architectes, que le designer travaille pour apporter des réponses. 

Cette approche nous mène jusqu’à la question de la gestion des nouveaux services ou équipements imaginés avec les habitants. Souvent, les dispositifs communs ne fonctionnent pas car ils n’ont pas sollicité l’expertise d’usage des premiers concernés lors de leur conception, ou qu’ils n’ont pas été pensés à l’échelle du quotidien – les horaires de passage des habitants, les nuisances générées, les différents usages du jour et de la nuit… À la question de l’espace, nous ajoutons donc la question du temps des usages (c’est ce qu’on appelle la chronotopie) et celle de la gestion ultra-locale (par exemple en imaginant la nouvelle fiche de poste d’un gardien).

Une fois le diagnostic posé et une ou plusieurs solutions proposées, il n’est pas envisageable de demander à toute une résidence, à des usagers aux habitudes parfois très différentes et fortement ancrées, de faire évoluer leurs pratiques quotidiennes du jour au lendemain. Il faut tester les solutions conçues collectivement, en conditions réelles, pour les mettre à l’épreuve du quotidien et laisser le temps aux choses de s’installer, pour que la (ré)appropriation par les habitants advienne – c’est là l’ambition de l’urbanisme transitoire. 

Tout l’enjeu du test et du droit à l’erreur consiste à s’autoriser à mettre le doigt sur ce qui ne fonctionne pas pour que les solutions développées puissent être enrichies et ajustées. Pour en revenir à l’exemple des cours d’enfants, nous allons tester au printemps des heures de présence des enfants dans les cours à la sortie de l’école, ainsi qu’un mobilier créé sur-mesure pour permettre de déployer et replier facilement une aire de jeu. Cette microarchitecture permettra de partager l’espace, de sanctuariser des heures où le jeu est toléré et des heures de calme. La phase de test permettra aussi d’expérimenter la gestion de cette activité – par une association, un gardien Paris Habitat, ou un collectif habitant… On touche ici à la gouvernance des communs et de nouveaux modes de responsabilisation autour d’une ressource partagée.

En pleine crise énergétique, faire des habitant·e·s des partenaires de la rénovation

Ces projets d’aménagement nous montrent qu’il est nécessaire de sortir des murs du logement pour penser l’habiter, que des plans d’architecte ne suffisent pas à résoudre les questions du quotidien et que la réponse à la question “comment habiter ma résidence/mon appartement/mon quartier demain ?” ne saurait être uniquement spatiale. 

Un projet de rénovation réussi, c’est un projet qui reconnaît le pouvoir d’agir des habitants, qui les considère  comme des partenaires et les intègre pleinement à la démarche. C’est un projet qui pose la question des usages, des services, de leur gestion et de la réappropriation des logements. C’est un projet qui permet d’expérimenter sans imposer de nouvelles pratiques quotidiennes, en sortant d’une vision naïve de la collaboration facile de tous avec tous, qui adopte un principe de réalité pour imaginer les cohabitations au-delà du bâti. 

C’est pourquoi l’AMU et l’urbanisme transitoire ne sont pas une fin en soi, mais plutôt un véhicule pour nourrir le projet des architectes et maîtrises d’œuvre. Si l’architecture ne peut pas tout résoudre, notre métier est bien in fine d’outiller la vie et les usages dans le projet architectural à long terme. Alors que la crise énergétique va rendre la question de la rénovation du parc de logement social plus critique encore qu’auparavant, les bailleurs sociaux et les maîtres d’oeuvre ont à leur disposition de nouveaux outils pour faire des habitants des partenaires à part entière. 

*Paris Habitat est l’office public de l’habitat de la Ville de Paris.

Ce texte est initialement paru dans le n°80 de la revue Passion Architecture (avril – mai – juin 2022). Il a été marginalement modifié.

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L’émancipation, au fond de la raquette de retournement.

Temps de lecture : 5 minutes

Un article d’Architecture Aujourd’hui n°441 au sujet des zones péri-urbaines qui abritent les films de Kervern et Delpine comme « Effacer l’historique », a fait réagir Maxence De Block, architecte et urbaniste chez Vraiment Vraiment qui a grandi pas loin du lieu de tournage. La revue lui ayant proposé un droit de réponse, il a écrit ce texte, que nous publions simultanément avec le site larchitecturedaujourdhui.fr.

« Funeste et pitoyable cadre de vie”, dune “nullité” qui “vomit l’architecture”, peuplé par des “benêts” forcément “racistes” voire carrément “fascistes” ; “des paysages qui fascinent” (mais au grand jamais ne façonnent) “des philosophes, des écrivains, des musiciens”... Les zones pavillonnaires ainsi racontées par Christophe Le Gac dans le numéro de l’Architecture d’Aujourd’hui’ n°441 sont le cadre de vie de 30% des Français-es, et le décor principal des films de Gustave Kervern et Benoît Delépine (Louise-MichelLe grand soir et, plus récemment, Effacer l’historique) qu’analyse l’architecte et critique d’art dans son article. Sous couvert de parler cinéma, le dédain de l’architecte vis-à-vis de ce mode de vie et de ses habitants est ce qui reste une fois la lecture achevée : “la ville moche comme matière artistique, d’accord, mais tant qu’elle reste dans le domaine de la fiction” – quelle conclusion !

Je suis né à Arras. J’ai vécu 19 ans à Achicourt, banlieue pavillonnaire à 10 minutes en voiture de Saint-Laurent Blangy – là où, précisément, prend place le récit du film Effacer l’historique. Et, Christophe, je vous assure que ma vie a peu à voir avec le domaine de votre fiction.

La “France moche”, c’est chez moi. J’ai fêté pas mal d’anniversaires à Buffalo Grill, j’ai été habillé à la Halle O Chaussures, j’ai été élevé au rayon bande dessinée d’Auchan et aux DVD de Vidéo Futur. Aussi, je me sens un peu insulté par cet énième article faussement bienveillant mais vraiment méprisant sur ces lieux, écrit par quelqu’un qui ne les connaît qu’à travers les fenêtres de son TGV (ou de google map). La “ville sans qualité” que vous décrivez est très certainement à réinventer – quel morceau de territoire français ne l’est pas, du plus rural au plus métropolitain ? Mais, à vous lire, on peut se demander si vous, les experts de la ville, êtes les mieux à même de comprendre les enjeux et à vous saisir du sujet. 10 ans après le fameux titre de Télérama, “Halte à la France moche”, toujours le même mépris d’ambiance, mais pas l’ombre d’un début de perspective utile. Bien sûr, ce n’était pas l’objet de votre article de critique d’art que de faire des propositions, mais pour avancer, il faudrait déjà changer de vision. Faire un pas de côté. Alors, même en parlant cinéma, il me semble que vous avez la responsabilité d’essayer de changer de regard. 

Il y a tant à voir, dans cet “environnement suburbain, optimisé pour circuler, consommer et dormir” ! Tellement plus d’usages et de pratiques d’émancipation que votre mépris d’architecte ne vous laissera jamais voir.

Commençons par les maisons. Toutes identiques, elles suffisent à vos yeux à disqualifier cette façon d’habiter. Cette maison, ma maison, a été et reste le rêve de mes parents. De millions de parents, en fait, qui y voient le havre idéal pour élever leurs enfants. Un jardin pour recevoir les amis, et chacun sa chambre. De quoi vivre ”volontairement” ici. Toutes identiques ? Au début, très certainement, mais nous nous les sommes appropriées au fil des années à grands coups d’autoconstruction et de coups de main entre voisins. Nous avons construit des ateliers au bout du jardin, agrandi le garage, refait la cuisine et la salle de bain. Notre nouvelle véranda doit faire le double de la surface de votre petit appartement métropolitain – sans rancune. Tout ça malgré les “normes” écrites par vos copains urbanistes, que nous avons bien entendu contournées. Parce que les “normes” vous comprenez, c’est seulement quand ça nous arrange. 

A vrai dire, on s’est plutôt bien démerdé sans vous. 

Quittons la véranda, pour pénétrer dans le jardin. Le jardin ? Parce qu’il pourrait être question, dans cette ville moche, d’autre chose que d’artificialisation des sols ? Vous et ceux qui nous regardez de loin parlez d’ici comme si des millions de mètres carrés de béton avaient coulé sur une nature intacte, préservée. Une parcelle, c’est 70% de jardin. Des centaines et des centaines de jardins – et autant de jardiniers – qui ont remplacé des champs où la fière agriculture française productiviste épandait des pesticides toxiques. Au fond de notre jardin, mon père a construit une fontaine. Il fut imité rapidement par plusieurs voisins : de nombreux bassins ont ainsi fait leur apparition dans le quartier, faisant le bonheur d’une faune et d’une flore qui ont repeuplé ce bout de terre. Un véritable écosystème, en fait, qui est venu trouver un refuge calme dans le jardin de mes parents. 

Mon père est écologue, sans écologue.

Et quand nous sortons de chez nous, donc, c’est pour nous “approvisionner”, dans des centres commerciaux dédiés “au repli sur soi et à la surconsommation »  “des milliers de gens viennent tous les jours”. Dormir, manger, circuler. Ces “nullités construites” ont été mon univers. Un univers joyeux fait d’après-midi au rayon roller de Décathlon, de flirts au cinéma Gaumont et d’initiation au dérapage contrôlé sur neige, là-bas, au fond du parking de Leclerc. Vous êtes-vous penché une seule fois sur les autres formes de sociabilité, les autres espaces de rencontre, qui émergent de ces formes singulières détournées de leur conception et de leurs usages initiaux ? 

Nous avons suscité une belle intensification des usages, sans designer.

Pour mon 6ème anniversaire, j’ai tout fait pour qu’on m’offre l’île des pirates LEGO. Assis dans le caddy de mes parents, j’ai imaginé comment je la monterais et la démonterais. Une fois rentré, j’ai passé la nuit, seul dans ma chambre, à la construire. Et la nuit suivante, à la transformer en dinosaure. Celle d’après, en vaisseau spatial. Chaque métamorphose me rendait fou, complètement dingue, jusqu’à la transformation d’après. Cette folie là, elle n’était pas vendue dans l’emballage, elle n’apparaissait pas sur la notice. Cette folie-là aurait aussi bien pu venir d’un match de foot organisé sur la raquette de retournement derrière chez moi, d’une belle fleur près du barbecue de mes voisins ou d’un morceau de musique entendu sur RTL à l’arrière de la 106 de ma mère. Elle venait, en tout cas, de cet univers. Elle a fait ce que je suis aujourd’hui. Et c’est là que vous passez, je crois, très à côté du message bienveillant des films de Kervern et Delépine : il y a dans tout ça un pouvoir émancipateur que vous ne soupçonnez pas. 

C’est la nuance qui vous manque. Toujours.

Je m’arrête ici, on m’a demandé de faire court. Vous pouvez continuer à vous “amuser à planter le petit bonhomme jaune de google street view” sur des territoires que vous ne comprenez pas. Vous pouvez aussi descendre sous les nuages, et venir les voir à hauteur d’humain, à hauteur d’architecte. Un million d’histoires et de récits de vie existent derrière les haies bien taillées et les murs en enduit. Tant de leviers de changement, de métamorphoses en cours et d’inventions magnifiques. De rond-point-agora, de salle des fêtes-atrium, de commun urbain-franchisé ou d’île aux pirates spatialisée. La ville moche se réinvente, et ses habitants ne vous ont pas attendu pour commencer le travail. Il est temps que les experts de la vue aérienne sortent, eux-aussi, du domaine de leur fiction. 

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La place

Temps de lecture : 3 minutes

Marthe Pommié nous fait le plaisir de nous confier ce texte court, écrit bien avant son arrivée, il ya quelques jours, à la tête du programme « Nouveaux lieux, nouveaux liens » de l’ANCT, sur la place dont on semble manquer partout et sur les places qui attendent qu’on les prenne, dans un nouveau geste d’aménagement du territoire à hauteur de citoyens.

Il manque toujours de la place. De la place pour circuler, de la place pour se loger, des places en crèche, en hébergement d’urgence, en maison de retraite, des places à l’hôpital, parfois à l’école.

Nous nous sentons à l’étroit, dans nos appartements, sur nos trottoirs, dans nos bus, sur nos routes, sur les plages l’été, partout. À l’étroit dans nos vies : la terre promise du salariat débouche sur la dépression professionnelle ou le chômage, l’avenir de l’entreprenariat débouche sur uber et deliveroo, et ainsi de suite. À l’étroit dans nos têtes : qu’est-ce qui est bien ou mal, pour qui voter, tel ou tel complot est-il vrai, quel avenir suis-je en train de construire pour mes enfants ?

Il n’y a plus de place, nous sommes trop nombreux, la réponse malthusienne coule de source. Migrants, vieux, pauvres, chacun sa cible, chacun son excédent.

Certains répondront : il y a de la place, elle n’est simplement pas au bon endroit. À la campagne, il y a des maisons en ruine, des écoles qui ferment, des villages qui s’éteignent. La métropolisation : la concentration sur de petits territoires d’une intense activité économique qui attire une population nombreuse. Le manque de place serait dû à une sous-utilisation de l’espace, elle-même due au capitalisme mondial, aux choix politiques d’aménagement territorial, à l’évolution de la production de biens et de services. 

Et s’il y avait en fait, aussi, de la place qu’on ne voyait pas ? Des places dont la puissance publique est même parfois propriétaire, y compris en plein cœur de ces endroits saturés d’humains à l’étroit ? Si nous nous saisissions de ces espaces vides, pour proposer des places aux habitants ?

L’action publique, c’est d’abord une question de maîtrise foncière, c’est d’abord la question de la terre. Ressource première, nécessaire, nous avons tous les pieds posés quelque part. Toutes les politiques publiques convergent vers la fabrication d’espaces, qu’elles le veuillent ou non. Elles polarisent les habitats, encouragent ou découragent les constructions, concentrent ou déconcentrent les pouvoirs, les activités, facilitent ou complexifient le télétravail, l’installation d’entreprises, l’ouverture de services publics. En d’autres temps on appelait ça l’aménagement du territoire, aujourd’hui reléguée au rang de politique publique parmi d’autres. 

Aménager un territoire depuis Paris, c’était bon pour Robespierre. Et encore : quand on observe la carte des départements, on se dit qu’il devait bien le connaître, le territoire de France, pour le découper ainsi. L’idéal aujourd’hui, dans notre société de masse, c’est le sur-mesure pour tous. Chacun doit avoir son idée, au niveau « local », de ce qui convient le mieux là où il est. Mais quel niveau local ? La région, le département, la commune ? Le quartier ? L’îlot ? La question reste posée depuis Paris. 

Si on partait des espaces vides, de ces dents creuses étrangement invisibles alors que la place est devenue une ressource rare de nos sociétés contemporaines ? L’échelle c’est l’homme. Il s’agit alors de créer des espaces dans lesquels les gens fabriquent leur propre place. L’humain passe son temps à reconquérir inlassablement les mêmes sommets. L’action publique doit reconquérir l’aménagement du territoire, et cette reconquête passera par ces vides pour en faire des tremplins. 

À chaque lieu son programme, à chaque habitant son idée : la fameuse co-construction de la politique publique trouve là matière à vivre. Un lieu idéal pourrait articuler service public (là une crèche, ici une maison de santé, quel service manque le plus cruellement pour vous, voisins ?) et une part d’initiative citoyenne. Oui, c’est un peu un gros mot, initiative citoyenne. Les gens qui vivent à l’étroit ont peur les uns des autres… Ouvrir des espaces qui favorisent et nourrissent les conditions des échanges entre humains – pour qu’ils aient vraiment lieu. Pousser les murs et pousser les consciences.

Bâtiments, terrains, champs, usines… Vides aujourd’hui, ouverts demain. Nouvelles pierres angulaires de l’aménagement du territoire, pour offrir de l’espace, un espace public, une place, un lieu de ralliement, de soutien, un lieu où chacun a les moyens, et donc la liberté, d’inventer sa place. 

A Marseille, un essai de mise en pratique

 A Marseille, l’Etat met à disposition pendant trois ans un bâtiment dont il est propriétaire, temporairement inoccupé, en plein cœur du centre de la ville. Sans donner les clés, sans décider de l’usage de chaque mètre carré, le projet d’occupation s’est construit dans un dialogue entre les différents partenaires, grâce à l’intermédiation d’un laboratoire d’innovation publique qui a porté cette nouvelle façon de travailler. D’une verrue urbaine, le lieu – Cocovelten – est devenu à la fois un espace dont tous les habitants peuvent se saisir, un lieu d’hébergement pour personnes sans-abris, un lieu de bureaux pour entreprises et associations, un lieu de convivialité et de restauration accessible. Prochaine étape pour une posture définitivement différente des pouvoirs publics : associer dès le départ les habitants à la programmation de l’usage du lieu, en fonction ce qu’ils identifient être leurs besoins ; devenir partie prenante de l’aménagement de leur lieu de vie, décider, construire.

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[PODCAST] Marion Waller : comment continuer à « réinventer Paris » ?

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Vraiment Vraiment invite régulièrement des personnalités pour petit-déjeuner, le vendredi, et parler parcours, expériences, pensée et action. Comme nous trouvons que ces petit-déjeuners sont passionnants, nous avons décidé d’en faire des podcasts, dont voici la troisième édition, en compagnie de Marion Waller.

Marion, philosophe de formation, est directrice-adjointe du cabinet de Jean-Louis Missika, adjoint à la Maire de Paris chargé de l’urbanisme, de l’architecture, des projets du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité. Dans ce cadre, elle a beaucoup contribué à la conception et à la mise en oeuvre des programmes « Réinventer Paris ».

Elle revient dans cette discussion sur les réussites et les limites de ce nouveau mode de fabrique de la ville, et dessine des perspectives pour la suite…que nous sommes heureux-ses de partager avec vous !

Vraiment Vraiment · MARION WALLER

Vraiment Vraiment · MARION WALLER

Prochain épisode : Francis Rol-Tanguy, Ingénieur général honoraire des ponts, des eaux et des forêts, membre de nombreux cabinets ministériels entre 1981 et 2015, ancien secrétaire général du Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et du Ministère du logement. Il sera question de transformation publique…

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[ PODCAST] Google va-t-il tuer nos villes ?

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Podcast de l’émission « Ainsi va la ville », proposée par Paul Citron, Lolita Voisin et Olivier Gaudin sur Radio Cause Commune et diffusée le 10 février 2020.

Ecouter l’émission via le site de Radio Cause Commune.

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Déployer l’innovation : au delà de la tactique, la valeur perçue (3/3)

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Collectivités locales : principes et idées pour une régulation utile du “freefloating”

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Déployer l’innovation : la tactique des mégotiers (2/3)

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Collectivités territoriales Design d'intérêt général Espaces publics Transformation publique Urbanités

Déployer l’innovation : la tactique des mégotiers (1/3)

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