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« Plan de relance » : chèques en vert ou chèques en blanc ?

Temps de lecture : 4 minutes

Par Sébastien Delpont, directeur de Energiesprong France et directeur associé de GreenFlex.

Voici venu le printemps, et avec lui le dégel. Entre larmes, courages et peines, on voit fleurir les appels engagés à penser « le monde d’après ». Qui ne le souhaiterait pas ? Mais pour passer de l’émotion à l’action, il va nous falloir cadrer vite l’alignement entre un nécessaire plan de relance et le Green Deal. En ces temps mouvementés, certains irresponsables poussent en effet à une relance via un relâchement des réglementations ou fiscalités environnementales : les climato cyniques, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnait. Reculer pour mieux nous effondrer, alors que nous devons sauter, c’est terrifiant. Il est l’heure de montrer les crocs pour éviter de nous faire berner, on ne nous fera pas passer de verdâtres vessies pour de vertueuses lanternes. Depuis des années, les intentions sont là : nos gouvernants déclarent que la maison brûle, que nous regardons ailleurs et que nous devrions accélérer la transition écologique. Mais pour passer de vœux pieux et certainement sincères à des engagements dignes d’une économie de guerre ou d’après-guerre, ça coince – ce sur quoi nous alarme à raison Greta Thunberg. C’est faire preuve d’aveuglement que de croire que l’on pourra toujours attendre pour agir, trop de décideurs ont peur de changer alors que c’est l’immobilisme qui est la position la plus risquée. Trois mesures fondamentales vont être à prendre dans les semaines à venir pour que le plan de relance public en préparation soit un véritable levier de transition écologique et solidaire.

Osons choisir les filières à relancer

Certes les filières automobiles et aéronautiques ont beaucoup souffert mais peut-on raisonnablement aujourd’hui – au vu de leurs impacts – y réinjecter plus d’argent que dans la filière ferroviaire, les transports en commun urbains ou le développement du vélo ? Il va falloir investir dans les infrastructures de transport mais dans celles dont le monde aura besoin demain. Il y aurait une profonde distorsion de concurrence intersectorielle à ce que les modes de mobilité les plus polluants soient plus aidés que les autres. Il est essentiel de s’en tenir a minima dans ces répartitions d’investissements sectoriels à l’équilibre proposé par la Stratégie National Bas Carbone, mise à jour par l’Etat en janvier 2020. Il est indécent d’entendre des décideurs dire qu’il faut « maintenir l’envie de prendre l’avion », l’avion est un moyen de déplacement nécessaire pour certaines destinations, il ne peut pas être un but. On relancera plus durablement les filières de la restauration et du tourisme de notre pays en incitant à aller passer des week-ends gastronomiques en Bretagne en train plutôt qu’en promouvant le retour à des week-end à Ibiza en vol low-cost. Tous les secteurs d’activités ayant eu des difficultés ne devront pas être aidés avec la même intensité : ils devront l’être en regard de leur impact environnemental et de leur utilité sociétale demain, et non pas en regard de leurs pertes d’aujourd’hui. Et soyons ouverts pour soutenir les acteurs qui voudront se diversifier dans de nouvelles activités bas carbone, accompagner la reconversion des acteurs des secteurs les polluants est essentiel.

Fixons des exigences écologiques fortes à chaque secteur soutenu

Il faut considérer un soutien économique au secteur automobile français, mais seulement si celui-ci sert à accélérer la baisse des émissions de ses véhicules ou à promouvoir le co-voiturage, pas pour relancer les ventes de SUV diesel… De la même façon, pour rénover énergétiquement nos bâtiments nous aurons besoin des entreprises du BTP, réinjectons donc vite de l’argent dans le secteur mais en augmentant très fortement le niveau des exigences environnementales (carbone, énergie et économie circulaire notamment) associées aux travaux ainsi financés et en demandant des garanties de performance. Il nous faut passer des éco-pactes avec chaque filière pour transformer nos beaux discours en impacts : soutien économique public massif contre une accélération très marquée de leur transition, en aidant plus fortement les PME. Des éco-pactes de responsabilités avec de vraies éco-contreparties, pas de vagues intention d’être plus attentifs en termes de RSE . Et oser le zéro soutien pour les acteurs qui ne seraient pas engagés dans une trajectoire zéro carbone ou zéro impact. Ce n’est qu’en étant plus ambitieux dans nos exigences écologiques que l’on aidera les filières à préparer leur futur, à les rendre plus résilientes, à les mettre mieux en capacité de servir les plus fragiles d’entre nous et à créer ou maintenir durablement des emplois. Il faudra aussi nuancer ces exigences selon les types de soutiens publics mis en œuvre : subventions, prêts ou prises de participation au capital. La controverse de vendredi dernier à l’Assemblée nationale montre les limites de l’Etat actionnaire comme investisseur militant… il sera intéressant de cartographier la répartition des participations de l’Etat au prisme de la taxonomie verte que construit l’Union Européenne dans quelques mois et d’exiger sur cette base un repositionnement.

Déconfinons le plan de relance

Forçons une grande transparence de cette dimension écologique des plans de relance coordonnés de l’Europe, de l’Etat et des collectivités en innovant dans sa gouvernance. Nous pourrions donner un futur à la convention citoyenne pour le climat en lui confiant un rôle de suivi de ces initiatives en France. Les premières recommandations des 150 membres de cette convention montrent de leur part une maturité, une exigence et une lucidité dont on aurait tort de se priver pour réconcilier fin de mois et fin du monde dans ce plan de relance. L’utilisation d’argent public pour relancer l’activité privée peut avoir du sens, mais il faudra imaginer y faire une place claire à des représentations citoyennes : dans son suivi voire même dans un partie de son affectation (avec un volet participatif dans ce plan de relance ?).

On dit parfois qu’on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens, mais aujourd’hui il va falloir dépenser pour sortir de nos ambiguïtés écologiques – mais pas n’importe comment – pour transformer nos belles paroles en actes. Passer de vouloir refonder notre terre sur des bases écologiques à faire sortir de terre des projets plus écologiques est à ce prix. Il est l’heure de faire des chèques en vert : une relance à coup de chèques en blanc ne ferait que nous affaiblir davantage.