Victoire du PSG : “On a loupé quelque chose dans ce qui aurait pu être un moment de joie.”
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La nuit de la victoire du PSG en finale de la Ligue des champions a donné lieu à un déferlement de violences partout en France. À Paris, 30 policiers et sapeurs-pompiers ont été blessés et 216 personnes mises en garde-à-vue. Les images abondamment relayées sur les réseaux sociaux montraient la ville et ses habitants en proie au chaos, laissant penser que le dispositif mis en place n’était pas une réussite, ce que même le Préfet de police Laurent Nuñez a reconnu.
Nous avons demandé à Raphaëlle Rémy-Leleu, conseillère de Paris et présidente de la troisième commission du Conseil de Paris (mobilités, espace public et sécurité), ce qu’il était possible de comprendre et de tirer de cette mauvaise nuit qui suivait un bien beau match.

Autrement Autrement : Du point de vue d’une élue parisienne, comment raconterais-tu ce qui s’est passé dans la nuit de samedi à dimanche à Paris à l’occasion de la victoire du PSG en Ligue des champions ?
Raphaëlle Rémy-Leleu : Je parle à la fois en tant qu’élue qui suit les dossiers sécurité et en tant qu’élue féministe, c’est important car ça donne une autre perspective sur ce qui s’est passé le 31 mai.
En tant que féministe, je suis frappée par l’absence totale dans les discours politiques de ce qui représente selon moi le fait social majeur de cette nuit de violence, à savoir qu’il s’agit de violences masculines, nous pourrons y revenir.
Plus largement, cette nuit de violences c’est l’histoire d’un fiasco annoncé. Quand, quelques jours plus tôt, nous avons par exemple demandé si la mise en place de fan zones étaient prévues, tout le monde s’est regardé dans le blanc des yeux. Etait-ce un manque de volonté ? Un manque de moyens ? Comme le match n’avait pas lieu à Paris, personne ne s’est senti investi d’organiser ce qui allait immanquablement se passer après, de prévoir un dispositif de prévention, de sécurisation et d’organisation de la fête
Or c’est ce qui a manqué. Quelques jours avant la finale, le Préfet de police Laurent Nuñez a fait le tour des médias pour présenter le dispositif de sécurité. En réalité, il n’y avait pas grand-chose à dire à part le nombre de forces de l’ordre déployées, 5 400. A part ça, il y avait une retransmission du match au Parc des Princes, et c’est tout. Donc on a dit aux gens de regarder le match à domicile ou dans des bars, puis de faire la fête où ils peuvent et comme ils veulent. On les laisse organiser leur soirée par eux-mêmes.
Ça ne pouvait pas bien se passer. Samedi soir, une soirée chaude du point de vue météorologique, ce qui n’est pas anodin car les violences augmentent quand la température nocturne augmente, on a laissé les gens se débrouiller dans Paris avec une surreprésentation dans l’espace public de supporters qui avaient envie de faire la fête et aucun dispositif prévu pour.
Au sujet de ce fait social majeur des violences masculines, est-ce que vous avez des données, tant sur ce qui s’est passé dans l’espace public que dans des sphères plus privées ? Est-ce que c’est inédit ?
Je pense en effet que c’est important de comprendre ce qui s’est passé et de réfléchir à ce que l’action publique pourrait y faire en termes de prévention. Si l’on reprend les statistiques générales des délits et des crimes, notamment ceux commis avec violence, ils sont très, très, très, très, très majoritairement commis par les hommes. De 85% d’hommes auteurs pour les agressions violentes à 93% pour les vols avec violence et 97% pour les violences sexistes et sexuelles… Ce sont les chiffres du Ministère de l’Intérieur pour l’année 2021.
Concernant les violences conjugales intrafamiliales les soirs de match, on n’a pas d’études en France sur le sujet. En revanche, on sait que parmi les facteurs qui favorisent les phénomènes de violences familiales et intrafamiliales, il y a l’alcoolisation, plus importante les soirs de célébration sportive.
Pour ce qui est de l’espace public, déjà, on a un premier problème : on voit à quel point l’omniprésence masculine, l’omniprésence de la violence masculine, sont des faits actés, acceptés mais non décrits. Dans les médias au lendemain du 31 mai, on a entendu la droite et l’extrême-droite parler de “hordes barbares”. On a même eu droit, en Conseil de Paris, à un conseiller de droite qui a mentionné “la stupidité, la cruauté animale de ces hordes barbares”. On a entendu le stigmate sur les jeunes de banlieue. Mais le fait social majeur et commun qui est que ce sont tous des hommes, personne n’en parle. Un angle mort assez dingue !
C’est quand même assez extraordinaire que des responsables politiques qui, tout au long de l’année, tout au long de leur carrière, en font des caisses sur le sentiment d’insécurité des Français, sont incapables de voir que quand tu étais parisienne, ce soir-là, tu réfléchissais avant de sortir de chez toi, parce que tu savais très bien que l’espace public n’était pas sûr, y compris parce qu’il n’était pas organisé pour l’être.
Il n’est pas attendu que des femmes existent le soir d’un match. Les femmes n’ont pas à exister, il est légitime de les renvoyer à leur foyer et à la sexualisation à outrance quand elles se promènent dans l’espace public. Il y a des contre-exemples, bien sûr, il y a des meufs qui sont allées avec leurs potes dans les bars pour regarder le match, mais ça reste une minorité et ce n’est pas la même posture sociale qu’une femme qui voudrait simplement sortir de chez elle. Je ne pense pas que les hommes aient besoin de réfléchir ainsi à leur propre mise en sécurité quand ils sortent un soir de match.
C’est intéressant aussi de comparer aux victoires des sportives : l’équipe lyonnaise féminine de foot a été huit fois championne d’Europe. Non seulement ça n’a jamais fait les gros titres en soi, mais on n’a jamais non plus entendu parler de violences post-match : il n’y en a jamais eu.
Quand le Préfet de police dit au lendemain de cette nuit de violences qu’il n’y a pas eu de faille sécuritaire, il manque de lucidité ou d’honnêteté ?
Je veux souligner d’abord qu’en termes de maintien de l’ordre, je n’ai pas constaté de dinguerie ce soir-là. Quand on compare avec la période Lallement (Préfet de police entre 2019 et 2022, ndlr), cette époque où les forces de l’ordre nassaient et gazaient allégrement, c’est tout de même un progrès. Attention, on est loin d’un maintien de l’ordre qui me satisfait, ce n’est pas la doctrine tactique que j’appelle de mes vœux, ce maintien de l’ordre pose des problèmes de droit, pose des problèmes de sécurité. Mais tout de même : c’est moins pire que ça ne le fût.
J’ai entendu une petite inflexion dans les interviews du lendemain et du surlendemain, dans lesquelles Laurent Nuñez, sans parler de faille sécuritaire, reconnaissait qu’avec ce qu’on avait vu, avec le nombre colossal d’interpellations réalisées, on ne pouvait pas dire que tout avait bien marché.
Pour moi, plus encore que du côté du maintien de l’ordre, la faille a été du côté de l’anticipation et de l’organisation, et donc de la pensée de la sécurité avant d’en arriver à l’usage de la force. Il y aurait dû y avoir la mise en place d’espaces légitimes pour célébrer, des fan zones, qui auraient permis à la fois de diviser les foules qui allaient sans trop savoir où, et auraient permis de donner un récit différent de la fête.
Là, on a simplement eu un contrôle policier de la célébration. En l’absence de récits alternatifs, célébrer est devenu synonyme de mettre au défi les milliers de représentants des forces de l’ordre déployées dans Paris. Sur les Champs-Elysées, très tôt dans la soirée, il y a eu des blocages par la police, comme un refus de laisser des espaces à la fête, comme si on était sur une guerre de position.
Il fallait donner de l’espace à cette fête ! On aurait pu imaginer plein de manières de faire, y compris des manières qui auraient permis de dé-masculiniser la fête et de faire en sorte que ça soit vraiment un moment populaire. On aurait pu ouvrir des mairies pour faire proposer des rediffusions sur des écrans. On aurait pu faire des invitations dans des lieux emblématiques pour les jeunes des écoles ou des clubs sportifs de la capitale et d’ailleurs.
On a loupé quelque chose dans ce qui aurait pu être un moment de joie. On a laissé le champ aux violences et à la mauvaise ambiance.
Comment tu expliques ce raté ?
Je pense qu’il y a une question de moyens, de coût, et sans doute également une gêne vis-à-vis du PSG alors que la question de l’avenir du Parc des Princes est source de tension et que la propriété qatarie du club demeure un sujet de crispation.
Et puis, je rajoute quand même ce point, mais pour moi c’est l’illustration du fait que quand on pense sécurisation, on pense à la modalité d’intervention une fois que la violence survient. On ne pense pas à toutes les voies de désescalade et de répartition de la tension, de répartition des foules, de légitimation de la fête qui aurait dû être le facteur principal.
Il y a une scène en particulier qui a retenu notre attention et celle des médias, c’est celle de l’agression physique d’un pompier, pendant de longues secondes, avant que la foule ne se reprenne, comme si elle prenait conscience de ce qu’elle était en train de faire. De quoi cette scène est-elle emblématique ?
J’en parle assez régulièrement avec les pompiers. Avec la Fédération nationale des sapeurs-pompiers et son porte-parole Eric Brocardi, nous avons récemment échangé au sujet du pompier attaqué à Annecy, qui est heureusement sorti du coma. On en parle aussi beaucoup avec l’état-major de la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP).
Les pompiers à Paris, c’est plus de 470 000 interventions en 2024. Et pour la même année, 133 agressions. C’est à la fois peu en proportion, et beaucoup trop : il faut imaginer ce qu’une agression tous les trois jours en moyenne change pour les pompiers… Y compris pour leurs équipements. Par exemple, nous sommes en train de financer et de déployer des gilets pare-lames pour les pompiers. On ne s’attendait pas à devoir faire ce genre de choses. Ça pose aussi des problématiques opérationnelles, quand on alourdit encore une tenue de pompier qui n’est déjà pas évidente à porter.
Cette scène dit quelque chose sur la vision de l’uniforme, quel qu’il soit, il est perçu comme étant davantage du côté de la répression. Or, les pompiers sont là pour aider et sauver, il faut le rappeler sans cesse.
Nous avons également vu des scènes de chaos pour les gens qui cherchaient à se déplacer ce soir-là, que ce soit en voiture ou en transport en commun. Qu’est-ce qui aurait pu être fait différemment en matière de mobilité ?
Il y a plusieurs problématiques à considérer. Celle des personnes motorisées qui viennent à Paris pour faire la fête – et donc créent des embouteillages aux portes de la ville – et celle du public présent sur place qui utilise les métros et transports en commun, l’un des nœuds du problème pour moi. Un dispositif complet d’organisation et de prévention de ce genre d’événement devrait inclure une communication en amont du match sur les stations fermées (et sur leurs horaires de fermeture), la mise en place d’itinéraires bis pour contourner les points difficiles, une négociation avec la RATP pour adapter les horaires et les trajets… Au lieu de ça : “nous sommes prêts, il y a 5 400 policiers déployés”.
De la même manière, on a vu pendant la soirée les sapeurs-pompiers communiquer sur le fait qu’ils étaient submergés de sollicitations et qu’il ne fallait donc appeler qu’en cas d’urgence : je pense que ce sont des messages qu’on pourrait faire passer avant, pour davantage d’efficacité.
Est-ce que là, c’est le caractère presque inédit d’une finale Ligue des champions pour Paris qui fait que les différents acteurs ne savaient pas à quoi s’attendre ?
Mais c’est leur métier ! Tu travailles au ministère de l’Intérieur ou à la préfecture de police, ton métier, c’est d’anticiper les troubles potentiels à l’ordre public et de proposer des réponses à y apporter le cas échéant. Bien entendu, tu es censé travailler avec la collectivité territoriale pour faire au mieux, et là il me semble que ça a péché des deux côtés. Quand tu vois que le PSG est en demi-finale, tu peux commencer à y réfléchir, et quand l’information arrive qu’ils vont aller en finale, normalement tu es capable de faire un plan sur les trois jours.
C’est très paradoxal que ça soit moi qui me retrouve à dire ça, parce que quand tu écoutes le ministère de l’Intérieur - et ce depuis l’époque napoléonienne - on t’explique que c’est la raison d’être de la préfecture de police : Paris représente un tel changement d’échelle, ça peut être un tel bordel, qu’on aurait besoin d’une institution hybride pour pouvoir gérer ça. On voit bien que la nature particulière de la préfecture de police de Paris n’a pas permis une meilleure anticipation, pas plus qu’une pensée globale de la sécurité, au-delà d’avoir suffisamment d’hommes et de femmes sur place.
C’était mieux pour les Jeux olympiques et paralympiques de 2024…
Les Jeux Olympiques et Paralympiques représentaient une fête institutionnelle et institutionnalisée. La responsabilité de l’État et des collectivités locales était donc pleinement engagée, tout était organisé pour que ça se passe bien, avec des agents publics plein les rues, des fan zones, des safe zones, des partenariats avec des associations de sécurité civile… Rien à voir ! La victoire du PSG, ce n’est pas une fête organisée par les institutions. Il n’y avait rien de prévu pour célébrer.
Avec cette équipe, le PSG se prend à rêver de futurs succès. Il pourrait donc y avoir de nouvelles finales, certaines gagnées, d’autres perdues. Est-ce qu’il y a un retour d’expérience structuré qui est prévu, pour tirer les leçons du 31 mai ?
C’est quelque chose que j’appelle de mes vœux. En France, contrairement à d’autres pays, on prépare - au mieux - les événements, mais on ne fait pas un retex conjoint entre État et collectivités locales. Même pour la préparation, cela dit, c’est l’exécutif de la collectivité qui prépare, il n’y a pas d’enceinte démocratique où il serait possible de délibérer d’un dispositif de sécurité.
Du côté des Écologistes parisiens, nous allons demander au Préfet de police les chiffres du 31 mai pour objectiver ce qui s’est passé. C’est important, y compris pour démonter la rhétorique d’extrême droite sur ce qui s’est passé et sur les auteurs, parce que ce qu’elle raconte est techniquement faux au-delà d’être politiquement abject.
Est-ce que tu tires de cet événement quelques propositions concrètes d’évolution de politique publique ?
Oui, au moins deux, au-delà de tout ce qu’on s’est dit jusque-là.
Je pense qu’il est nécessaire de chercher à mieux faire coïncider le maintien de l’ordre avec le territoire, le bassin de vie. En France, on a une politique de déterritorialisation, c’est-à-dire que pour faire du maintien de l’ordre à Paris, c’est une compagnie de CRS du Nord, de Metz ou d’ailleurs qui vient - pas une compagnie francilienne. Le postulat derrière ça, c’est qu’il ne faut pas que tu te retrouves à faire du maintien de l’ordre face à ton cousin. Cela me semble dommageable. Déjà, quand tu as une compagnie locale, elle sait t’indiquer la rue la plus proche qui n’est pas bloquée, et c’est précieux pour éviter la bordélisation et certaines situations de tension. L’une des questions que les gens posent très régulièrement aux CRS ou aux gendarmes mobiles qui font du maintien de l’ordre, c’est « vous avez bloqué là, par où je peux passer? » et les gars n’ont strictement aucune idée. Mais je pense que ce serait également utile d’avoir des compagnies locales en termes de désescalade, j’ai envie d’avoir des forces de l’ordre qui se disent « oui, j’agis face à ce public comme si c’était mes amis, mes cousins, mes voisins ». Ça, on n’y est pas.
Ensuite, il me semble fondamental de créer un statut pour les observateurs et observatrices. À Paris, la Ligue des droits de l’Homme (LDH) a un observatoire des libertés publiques. Elle ne participe pas aux manifestations ou aux célébrations, ses représentant·e·s observent, prennent des photos puis elles et ils remplissent leur propre formulaire d’analyse et produisent des rapports. Ça a été très utile, par exemple, pour documenter le maintien de l’ordre à Sainte-Soline, le rapport de la LDH a beaucoup aidé à raconter ce qui s’y était véritablement passé, les failles de sécurité et plus encore les choix tactiques qui étaient coupables. Le problème, en France, c’est que ces observateurs et ces observatrices n’ont pas de statut donc, elles et ils ne sont pas protégé·e·s. Pour que leur travail puisse se faire dans de meilleures conditions, il faut créer un statut.
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