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Sans forcer les choses

Temps de lecture : 6 minutes

Par Emmanuel Bodinier.

En septembre 2020 à Paris, à l’invitation de l’agence de design Vraiment Vraiment, une soirée rassemble une vingtaine de personnes travaillant autour des politiques publiques. La conversation s’engage sur les liens entre action publique et écologie. A un moment, Nicolas Rio rapporte une conversation que nous avons eu il y a quelques années sur le non-agir. Dans quelle mesure « ne pas agir » correspond-il à une forme d’action pour préserver la planète ? Comment sortir du dilemme politique où celui qui propose la construction d’un aéroport « agit » tandis que celui qui propose de préserver les terres agricoles « ne fait rien » ? Comment inciter à ne pas nuire alors que l’on attire des ressources fiscales uniquement en attirant habitants et entreprises ? Comment envisager que se taire pour laisser s’exprimer celles et ceux qui prennent moins la parole puisse être une forme d’action ?

La discussion collective a dévié sur le laisser-faire – position qui n’était défendue par personne autour de la table.  Aucun d’entre nous ne souhaite baisser les bras face à la destruction du vivant. A un autre moment, une personne a réinterprétée le non-agir comme un lâcher-prise face au besoin de contrôler, une notion proche mais qui ne recouvre pourtant pas la première.

L’expression non-agir vient du chinois « wu wei » composé de deux idéogrammes :

  • 無 wu: le dépouillement, le vide, l’indifférencié, il-n’y-a-pas
  • 為 wei : agir volontairement, agir-qui-force[1]

On trouve l’expression wu-wei chez Kong Fuzi – qu’on nomme souvent Confucius. Le parangon du Prince est celui qui, placé au centre, n’a plus à bouger pour que le monde soit gouverné.

Le Maître dit : « Qui, mieux que Shun, sut gouverner par le non-agir ? Que lui était l’action ? Il lui suffisait, pour faire régner la paix, de siéger en toute dignité face au plein sud »

Qui gouverne par sa seule puissance morale est comparable à l’étoile polaire, immuable sur son axe, mais centre d’attraction de toute planète[2].

Wu-wei est aussi une notion est centrale chez LaoZi [3]. Celui-ci compare cette forme d’action à un essieu, condition d’avancée de la roue. Le vide est le lieu de l’action.

Nous joignons des rayons pour en faire une roue, 
mais c’est le vide du moyeu
qui permet au chariot d’avancer.

Nous modelons de l’argile pour en faire un vase, 
mais c’est le vide au-dedans
qui retient ce que nous y versons.

Nous clouons du bois pour en faire une maison, 
mais c’est l’espace intérieur 
qui la rend habitable.

Nous travaillons avec l’être, 
mais c’est du non-être (wu) dont nous avons l’usage
[4]

Agir avec le vide. Comme si les mouvements du corps épousaient les courants d’un fleuve qui nous emportait. Sans perdre ses forces à résister aux tumultes ou à tenter de remonter à contre-courant. « Agir dans le non-agir » suppose d’arrêter de croire à notre toute-puissance, à notre maîtrise de situations dont nous ne sommes que l’un des éléments. Cela suppose d’arrêter de découper le réel en cases, d’arrêter de donner une primauté au calcul, à la volonté, à la rationalisation, d’arrêter de vouloir « forcer le cours des choses » comme le traduisent certains auteurs[5].

Wu Wei est une forme d’agir plus subtile que la maîtrise et le contrôle par l’action directe. C’est une action qui accepte les détours, en résonance avec les conditions présentes et en attention aux conséquences incertaines qui pourraient en découler. Ce qui demande un réajustement permanent. Combien de réunions où tout est décidé à l’avance, où tout est déjà rempli ? Combien de décisions publiques où l’urgence d’agir aggrave le problème ? Où l’intention d’un seul cherche à forcer les choses en s’activant vite et sans conscience de ses interdépendances ? La violence créant un sentiment de retrait, d’adhésion soumise ou au contraire de révolte inattendue.

On pourrait utiliser le terme quand on lit le portrait du général Koutouzov dans La guerre et la paix de Léon Tolstoï. Face à la Grande Armée de Napoléon, il reste immobile alors que tous autour de lui veulent entrer dans dans la bataille. Au cœur même de la guerre, il ne cherche pas l’affrontement mais attend que « les événements soient mûrs » et cherche à agir en suivant le « cours inéluctable des événements[6] ».

[Koutouzov] se mit à parler de la campagne de Turquie. – Que de reproches ne m’a-ton pas faits et sur la conduite de la guerre et sur la conclusion de la paix ! Pourtant l’affaire s’est bien terminée et fort à propos. Tout vient à point à qui sait attendre. Sais-tu que là-bas, il n’y avait pas moins de conseilleurs qu’ici, poursuivit-il, en insistant sur un sujet qui paraissait lui tenir à cœur. Ah ! Les conseilleurs, les conseilleurs ! Si on les avait tous écoutés, nous n’aurions ni fait la paix ni mis fin à la guerre. A les en croire, il fallait aller vite, mais aller vite c’est souvent traîner en longueur. Si Kamenski n’était pas mort, il aurait été perdu. Il lui fallait trente mille hommes pour emporter les forteresses. La belle affaire que de prendre une forteresse ! Ce qui est difficile c’est de gagner la campagne. Et pour cela point n’est besoin d’attaquer ni d’emporter d’assaut, ce qu’il faut c’est la patience et le temps. Kamenski a lancé ses soldats contre Roustchouk, mais moi en ne me servant que de la patience et du temps, j’ai pris plus de forteresses que Kamenski et j’ai fait manger aux Turcs de la viande de cheval. – Il hocha la tête. – Et crois-moi, j’en ferai manger aussi aux Français, conclut-il avec animation en se frappant la poitrine. Et, de nouveau, des larmes brillèrent dans ses yeux.

– Il faudra bien pourtant accepter la bataille ? dit André.

– Sans doute, si tout le monde le désire… Mais crois-moi, mon cher, il n’y a rien qui vaille ces deux soldats, la patience et le temps ; ce sont ceux qui feront tout. Mais les conseilleurs n’entendent pas de cette oreille-là, voilà le mal. Les uns veulent, les autres ne veulent pas. Alors, que faut-il faire ? – Il s’arrêta, dans l’attente d’une réponse. – Voyons, qu’est-ce que tu ferais, toi ? Insista-t-il, et une expression intelligente, profonde, brilla dans ses yeux. – Eh bien, je te dirai, ce qu’il faut faire, continua-t-il comme André ne répondait toujours pas. Je vais te dire ce qu’il faut faire et ce que je fais. Dans le doute, mon cher, abstiens-toi, prononça-t-il en espaçant ses mots. […]

Sans qu’il sût  au juste pourquoi, André, après cet entretien, retourna à son régiment absolument rassuré sur la marche générale des affaires et confiant en celui qui la dirigeait. Ce vieillard ne gardait pour ainsi dire que des habitudes passionnelle ; l’intelligence, qui a tendance à grouper les faits pour en tirer les conséquences, était remplacée chez lui par la simple capacité de contempler les événements en toute sérénité. Plus André constatait cette absence de personnalité, plus il était convaincu que tout irait pour le mieux. « Il n’inventera ni entreprendra rien, se disait-il ; mais il écoutera et se rappellera tout, mettra tout à sa place, n’empêchera rien d’utile, ne permettra rien de nuisible. Il comprend que sa volonté personnelle, à savoir le cours inéluctable des événements ; il a le don de les voir, d’en saisir l’importance, et sait en conséquence faire abstraction de sa propre volonté, la diriger, pour ne point intervenir, vers un autre objet. »

Comme Laozi, Tolstoï n’envisage pas le pouvoir à travers la volonté consciente d’un archer qui, dans un contexte donné, tendrait l’arc et lancerait sa flèche sur une cible fixe. Agir sans forcer les choses correspond plutôt à une personne qui se rend attentive et distante au vent, aux émotions intérieures, à la texture du bois, à la lumière du jour, au paysage odorant, à ceux qui s’agitent à ses côtés… Un archer qui tient la corde tendue, sans forcer, faisant le vide avec sourire et sachant lâcher la corde au bon moment[7]. Sans fuite face à l’adversité, sans abaisser son arc face à la violence du réel. Une autre forme de courage.

Encore une fois : agir sans forcer les choses ne consiste pas à se tourner les pouces. Face au Covid-19, il fallait et il faut encore agir sans faiblesse. Mais il y a plusieurs manières de le faire. Pourquoi ne pas s’être appuyé sur les capacités d’initiatives des collectivités locales et des associations en partageant décisions et responsabilités ? Fallait-il tout miser sur des sanctions financières et des certificats de sortie que l’on se signait à soi-même par peur de l’amende ? Agir par la force produit des résultats de court terme mais ceux-ci épuisés, l’impuissance gagne et on se trouve désemparé. Agir autrement suppose d’imaginer des systèmes d’irrigation durables plutôt que d’arroser de manière intensive à partir d’un seul puit[8]. Chacun de nos gestes contient déjà en germe le long terme. Ne pas bouger peut être déjà porteur d’une efficacité parfois plus grande que l’agitation éperdue face aux tourments qui nous traversent.

Je ne sais pas comment la notion de wu-wei peut enrichir l’avenir de l’action publique. Elle provoque souvent incompréhensions et mésinterprétations. A nous de trouver pas à pas une autre manière d’agir qu’un volontarisme étriqué et stérile. A nous de trouver une manière de vivre, de produire, de penser, de nous gouverner sans forcer les choses.


[1]Cf Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, Points Seuil, p.133 et p.190-191

[2]Confucius, Entretiens, XV, 4 et II, 1

[3]La notion apparaît dans 57 des 81 poèmes de Laozi

[4]LaoZi, Tao Te King. Un voyage illustré, Synchronique éditions, poème n°11. Un autre auteur dit taoïste, ZhuangZi comprend lui wu wei comme un principe visant à se désengager du politique, à refuser de participer aux affaires humaines. LaoZi a inspiré le plus grand théoricien légiste chinois Han Feizi qui a interprété wu wei comme un principe de non-interférence mais aussi sur un ordre fondé sur l’ignorance des gouvernés.

[5]Jean-François Billeter, Contre François Jullien, Paris, Allia, 27 avril 2006.

[6]J’emprunte la formule à Tolstoï dans La guerre et la paix, NRF, La Pléiade, 1951, Trad. Henri Mongault, p.973. Extrait p.972-973

[7]Le vide est pris en compte dans les arts martiaux. Voir par exemple Traité des cinq roues de Musashi Myamoto (1645)

[8]Baptiste Morizot, Manières d’être vivant: enquêtes sur la vie à travers nous, Arles, Actes sud, coll.« Mondes sauvages, pour une nouvelle alliance », 2020.

Illustration : Lille, Friche saint sauveur. Photo par Velvet. Licence Creative Commons.

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Julie Meyniel (FP21) : « de la fatigue, de la lassitude, de la fierté parfois » chez les agents publics

Temps de lecture : 3 minutes


L’association FP21 a lancé avant l’été une enquête auprès des agents publics pour sonder l’état des troupes après un printemps 2020 extra-ordinaire, qui a placé certains métiers de l’action publique en pleine lumière, en a obligé d’autres à se réinventer complètement, et n’a été neutre pour personne. Dans un contexte “impensable” quelques mois plus tôt, comment ça s’est passé ? Une grosse centaine d’agents ont répondu – trop peu pour des prétentions scientifiques mais assez pour en tirer quelques enseignements et questions pour le “monde d’après”. Julie Meyniel, de FP21, nous répond. 

Comment vont les agents publics, après ce début d’année extraordinaire ? 

D’abord, merci de poser la question – c’est assez rare qu’on s’y intéresse. Ensuite, c’est évidemment compliqué de résumer. Il y a de la fatigue, de la lassitude, de la fierté parfois que “ça ait tenu”. L’enquête montre un fort investissement des répondants pendant la période, qui conduit en partie à une usure et à des questionnements lourds sur le sens des missions des agents publics. 80% des répondant-e-s – essentiellement des cadres de la fonction publique  – ne se voient pas travailler au même poste dans 3 ans, soulignant un manque d’intérêt, de visibilité et de perspectives. 

Il me semble que nous sommes dans un moment de clair-obscur pour la fonction publique, un moment de transition qui à certains égards est motivant – le confinement et ses conséquences ayant ouvert des espaces à investir, dégagé des petites marges de manoeuvre à exploiter – mais avec un nouveau monde qui tarde à apparaître, ce qui peut être décourageant. 

Le secteur public était largement récalcitrant au télétravail et le confinement y a massivement contraint les employeurs et les agents publics. Quel bilan peut-on en tirer ?

L’enquête montre un plébiscite du télétravail…avec des limites très fortes immédiatement soulignées, mais qui peuvent en partie être levées si un véritable chantier est ouvert sur le sujet.

L’enthousiasme des agents tient à la découverte d’une forme de souplesse du cadre de travail, auquel on n’est pas habitués dans la fonction publique. Le télétravail a permis de décentrer l’attention, de la présence et des horaires, vers le travail effectivement réalisé. Certains métiers et certaines politiques ont dû imaginer de nouvelles manières de faire, par exemple pour continuer à aller au-devant des publics vulnérables. 

Cependant, les agents qui ont répondu à notre enquête mentionnent la perte des temps et pratiques informelles, qui nuit à l’efficacité collective, et l’atteinte portée au lien social – entre agents avec les usagers. Bien entendu, la capacité à “déconnecter” et l’articulation vie privée/vie professionnelle se sont avérées des enjeux de taille, comme pour tous les télé-travailleurs. La qualité des outils et équipements numériques a beaucoup été mise en cause. 

Cela doit conduire à une réflexion de fond sur les cadres de la fonction publique, ses postures, ses outils – y compris en mode “présentiel”. On peut utiliser des questions et problèmes soulevés par le télé-travail pour améliorer l’action publique en général. Encore faut-il qu’il y ait un cadre de discussion et de travail pour cela. 

3/ Est-ce qu’il y a des choses qui ont été expérimentées, de gré ou sous la contrainte, pendant le confinement, qui mériteraient de perdurer ?

A la lecture des réponses à l’enquête, il est frappant de voir à quel point on a peu l’habitude, dans la fonction publique, de nommer quelque chose comme ayant été “expérimenté”. Il manque une dimension réflexive systématique, qui serait précieuse pour avancer. 

Cela dit, les répondants ont partagé des manières de sortir du cadre habituel jugées vertueuses, soit qu’elles aient permis une collaboration ou une communication à un niveau inédit entre agents d’administrations différentes, soit qu’elles aient permis de mieux comprendre les différents métiers d’un site – particulièrement à l’hôpital, où les rapports administration/soignants ont été bouleversés. Certains agents soulignent aussi les possibilités qu’a créé le confinement de “se mettre à la place de” : les parents se sont retrouvés professeurs, par exemple. 

Est-ce qu’il va y avoir un « monde d’après » dans la fonction publique ?

Avant de se projeter, il est indispensable d’avoir une vision claire et étayée sur l’état du monde public et des agents. Comment vont-ils ? Que voient-ils ? Comment est-ce qu’ils se projettent ? On ne peut pas avancer sans ces informations, et notre enquête artisanale est évidemment très loin du compte. La DGAFP pourrait lancer un travail d’ampleur, rapide et sortant des sentiers battus – nous serions ravis, chez FP21, d’y contribuer. 

Du côté de nos répondants, sans que le confinement soit idéalisé, comme on l’a vu, on sent une vraie crainte d’un “retour à la normale”, qui serait très démotivant. Ayant vécu “l’impensable”, comme a dit le Président, un travail mériterait d’être conduit pour repenser les cadres, les métiers, les outils de la fonction publique, justement en envisageant ce qui n’a jusque-là pas été envisagé. Si c’est fait avec les agents, y compris de terrain, c’est stimulant !

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[PODCAST] Marion Waller : comment continuer à « réinventer Paris » ?

Temps de lecture : < 1 minute

Vraiment Vraiment invite régulièrement des personnalités pour petit-déjeuner, le vendredi, et parler parcours, expériences, pensée et action. Comme nous trouvons que ces petit-déjeuners sont passionnants, nous avons décidé d’en faire des podcasts, dont voici la troisième édition, en compagnie de Marion Waller.

Marion, philosophe de formation, est directrice-adjointe du cabinet de Jean-Louis Missika, adjoint à la Maire de Paris chargé de l’urbanisme, de l’architecture, des projets du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité. Dans ce cadre, elle a beaucoup contribué à la conception et à la mise en oeuvre des programmes « Réinventer Paris ».

Elle revient dans cette discussion sur les réussites et les limites de ce nouveau mode de fabrique de la ville, et dessine des perspectives pour la suite…que nous sommes heureux-ses de partager avec vous !

Vraiment Vraiment · MARION WALLER

Vraiment Vraiment · MARION WALLER

Prochain épisode : Francis Rol-Tanguy, Ingénieur général honoraire des ponts, des eaux et des forêts, membre de nombreux cabinets ministériels entre 1981 et 2015, ancien secrétaire général du Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et du Ministère du logement. Il sera question de transformation publique…

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Pour préparer demain, observer les transformations publiques par temps de crise

Temps de lecture : 4 minutes

Le futur de l’action publique est-il en train de se fabriquer sous nos yeux, dans les multiples innovations spontanées et autres bricolages institutionnels provoqués par une crise aussi brutale qu’inattendue ? Voilà la question qui nous taraude depuis plus d’un mois. Et plus l’horizon de  « sortie de crise » semble lointain, plus la nécessité de comprendre ce qui se joue « pendant la crise » paraît nécessaire, à la fois par les questions qu’elle pose et les opportunités de réponse qu’elle semble offrir. 

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D’une pierre, deux ou trois coups

Temps de lecture : 7 minutes

Dans son discours sur le déconfinement prononcé à l’Assemblée nationale le 28 avril, le Premier ministre français a annoncé la création de brigades chargées, dans chaque département, de recenser et “remonter” la liste des cas de covid-19 et des personnes ayant été en contact avec ces malades. Si ces brigades ont été prototypées en Haute-Savoie et dans l’Oise, et bien qu’Edouard Philippe ait implicitement écarté le recrutement de personnel dédié (au profit d’équipes mixtes issues de l’Assurance maladie, des CCAS et des départements), le dimensionnement de ces brigades (20 à 30 000 personnes nécessaires) et leur activité très particulière en font, quelque part, l’ébauche d’un nouveau métier de la fonction publique. Avec un recrutement (même “seulement” interne) à mener tambour battant, des compétences à lister et acquérir, des outils à mettre en place, notamment numériques – il faut lire à ce sujet le texte très utile d’ancien-ne-s du Conseil national du numérique

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Let us rethink public space right now (for tomorrow)

Temps de lecture : 10 minutes

Eight challenges and a package of proposals so that physical distancing does not have us die of grief.

One point in the French prime minister Edouard Philippe’s address on TV last Sunday (April 26th) has to be remembered: the shift from the terrible and much misnamed “social distancing” that prevailed until that day, to the “physical distancing” stance. However, the global challenge in front of us remains huge; but at least, it becomes liveable. How to revive desirable shapes of social life while respecting sufficient distance, while not relying on a potentially ineffective tracking App. which presents risks in terms of personal freedoms?

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Demain (maintenant), l’espace public.

Temps de lecture : 10 minutes

8 défis et quelques propositions pour que la distanciation physique durable ne nous fasse pas mourir de chagrin.

S’il y a un élément du discours de dimanche soir d’Edouard Philippe qu’on peut saluer, c’est l’apparition de la notion de “distanciation physique” en lieu et place de la terrible et bien mal-nommée “distanciation sociale” jusque-là officiellement recommandée. Le défi n’en demeure pas moins immense, mais au moins il est vivable :  comment, demain, renouer avec des formes désirables de vie sociale, tout en respectant une distance suffisante pour limiter la transmission du covid et sans tout miser sur une appli de tracking porteuse de risques en matière de libertés et potentiellement peu efficace ? 

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Déconfiner l’État

Temps de lecture : 6 minutes

Confinés, certains d’entre nous se projettent dans « l’après ». Peut-être s’agit-il, pour ceux qui sont au balcon de la crise et de sa gestion d’être utiles, à leur manière, à l’effort collectif. En toute hypothèse, se projeter dans l’après, c’est prendre acte du changement décisif auquel cette crise nous contraint ou, selon les points de vue, nous invite.

Certains y voient la confirmation de leurs convictions préexistantes à la crise, des fragilités de la chaîne de production mondialisée au souverainisme sans vergogne des puissances américaines et chinoises jusqu’aux menaces sur la biodiversité et les zoonoses induites. D’autres soulignent comment certaines ruptures, jugées impossibles par la plupart des gouvernements des états développés en matière de lutte contre le changement climatique ou contre les inégalités économiques, sont revendiquées et (plus ou moins) mises en œuvre face à cette pandémie. Bien sûr celle-ci réveille les grandes peurs de l’histoire préindustrielle, fragilise le contrôle des nations et (surtout ?) frappe sans distinction de revenu ni de classe sociale. D’autres encore, et c’est l’objet de ce papier, s’intéressent aux leçons de cette crise et de sa gestion en termes d’action publique en France.

Ces leçons restent à construire tant il est difficile d’identifier à chaud les signaux structurants (et souvent faibles). De plus, les sources fiables et indépendantes nous manquent, hélas submergés certes de fake news mais plus encore d’une information descendante et auto-justificatrice émanant des exécutifs nationaux à des fins de propagande, à tout le moins par les Etats autoritaires. On notera que c’est bien l’élément (le seul ?) liant l’épidémie de Covid 19 et la guerre.

Alors, avant même « l’après », essayons de lister et d’aiguiser nos constats. Certains diraient qu’il faut avant tout porter un diagnostic, le vocabulaire médical se faisant langue commune. Peut-être apparaitra-t-il que l’Etat procède, dans cette crise, en fonction de ce qu’il peut faire (et non de ce qu’il faut faire) voire de ce qu’il peut dire dans une action souvent performative. 

L’état des services publics : face à la crise, un sujet de dimensionnement ou d’adaptabilité ?

Assez logiquement, l’endémique crise hospitalière des mois (années) précédents est revenue en force comme le facteur explicatif d’une crise faite de manque de places, d’équipements et de personnels : le désormais fameux « l’Etat compte ses sous, on comptera les morts » rappelé par Annie Ernaux. 

Or, sans minorer les longs effets du « gouvernement à la performance » ou « bureaucratie des nombres » pesant sur l’hôpital, il est difficile de juger du dimensionnement d’un service public à l’aune d’une crise exceptionnelle. C’est bien plutôt l’adaptabilité du service public (son agilité en langage plus contemporain) qui devrait constituer un ressort majeur pour faire face. 

Mais que constate-t-on ?

Par exemple, que le fonctionnement en silos des administrations et opérateurs nationaux, privilégiant en l’espèce l’hôpital sur la médecine de ville et sur l’hospitalisation/maintien à domicile ou en EHPAD comme l’illustrent les critères d’attribution des volumes de masques.

Ou encore, que les difficultés de coordination avec d’autres acteurs publics, à l’instar des collectivités territoriales, sollicitées certes pour assumer l’enjeu manifestement décisif que constitue la (désormais inutile) tenue du premier tour des élections municipales mais dans des relations toujours asymétriques y compris sur leurs champs de compétences (jeunesse, personnes âgées etc.) pour contribuer à la gestion de crise.

Sans oublier la difficulté (l’incapacité ?) à mettre en œuvre effectivement un dispositif de service public « élargi » comme l’illustre la réserve citoyenne dont on affiche fièrement le nombre de volontaires mais dont on peine à donner les réalités opérationnelles ; mais on pourrait aussi certainement développer cette question à l’aune de la (non) mobilisation des syndicats, des associations, des « entrepreneurs sociaux » etc. en tout cas de façon effective par l’Etat central.

Au final, se pose ici l’introuvable complémentarité entre acteurs publics, d’une part, et entre action publique et société civile, d’autre part, du fait de l’infantilisation de tout ce se trouve hors de la sphère étatique.

Le mode d’intervention : verticalité versus autonomie

On estime généralement que les temps de crise se prêtent à des formes d’intervention autoritaire ou en tout cas les justifient. L’Etat n’est-il pas le seul à même de prescrire les règles collectives indispensables face à une contamination qui plus est diffuse et de traiter rapidement d’enjeux « industriels » au sens propre (produire des masques, des équipements etc.) et figurés (gérer à une échelle massive des malades, des morts, des élèves, des salariés etc.).

Mais la verticalité martiale, certes amplifiée par la caisse de résonnance médiatique, est-elle réellement efficace et quels en sont les outils ?

Que constate-t-on ?

  • Que cette verticalité est aussi (surtout ?) un affichage comme le montrent plusieurs instructions, très diversement mises en œuvre, de l’usage de la désormais fameuse chloroquine à la fermeture des marchés en passant par le confinement en EHPAD .
  • Qu’il faut plutôt se réjouir que la crise favorise des prises d’initiatives locales, à côté et parfois à distance d’instructions officielles qui peinent assez logiquement à favoriser une adaptation nécessaire en temps réel, comme l’illustrent la production de masques « locaux » pour alimenter à proximité les structures médicales, le développement de circuits courts de distribution de produits alimentaires (en complément d’une distribution par les grandes surfaces soutenues par l’Etat), les initiatives de « continuité pédagogique » faisant fi des hiérarchies et outils ministériels, etc.
  • Que le seul domaine où se déploie pleinement la verticalité d’Etat, concerne le confinement et son contrôle, dont les données rendues périodiquement publiques visent bien sûr à maintenir une adhésion… contrainte mais semblent résonner comme autant de preuves (rassurantes ?) d’un Etat au front (contre les libertés publiques ?!). 

Il faudra un jour faire le recensement de l’« existentialisme étatique » à mesure de circulaires.

L’enjeu des services à la personne : de l’invisible au plus vital

Avec la crise mais dans le prolongement de la saga Uber, un coup de projecteur est donné sur l’exercice et la hiérarchie sociale des métiers, dont on peut espérer avec Dominique Méda qu’elle figurera à l’agenda de « l’après ». On touche là à ce que nos sociétés post-industrielles ne pourront jamais dématérialiser : les services directs aux personnes et les métiers de réseaux non mécanisables (de la collecte des déchets à certaines productions alimentaires).

Or, si l’Etat a tiré les leçons de la crise de 2008 en engageant rapidement un soutien public massif aux entreprises (financement généralisé du chômage partiel, report des créances et garantie publique des emprunts), il apparait que cette approche macro-économique n’épuise pas les besoins de continuité de la vie sociale (en période de crise mais aussi au-delà).

Que constate-t-on ?

  • Que l’Etat a plus aisément fermé les écoles et tous les lieux d’enseignement que suspendu le processus électoral en considérant que la modalité d’enseignement à distance était certes une forme dégradée mais suffisante pour assurer la continuité pédagogique (et le lien social scolaire) ;
  • Que l’Etat s’est focalisé sur ses seuls agents, y compris en énonçant des règles de prévention (port de masque par exemple) qui ont in fine alimenté des difficultés et appel au droit de retrait dans d’autres services publics (locaux), faisant fonction (médecine libérale) et non publics (logistique, réseaux etc.) cruciaux dans la continuité du pays ;
  • Que sur différentes questions majeures de la vie sociale, comme l’interdiction d’inhumation collective des morts en est l’exemple le plus extrême, l’Etat tend à se présenter comme indifférent au lien social. 

Identifier les faux-semblants qui brouillent le débat

Ces pistes de constats gagneraient à être complétées. Il faudrait les élargir à d’autres questions fondamentales pour l’action publique, qu’il s’agisse par exemple de la transparence des données (et de leur exploitation) ou de la place donnée à l’expertise scientifique actuellement engagée (instrumentalisée ?) dans un pas de deux avec le pouvoir exécutif démocratiquement peu lisible.

Plus encore, il serait utile d’aiguiser nos constats non pas seulement en creux mais en plein (ce que les initiatives prises localement nous apprennent). Un observatoire informel de la résilience des territoires est en train de se mettre en place – c’est bienvenu.

Enfin, il nous faudrait construire une espèce de carte mentale des niveaux territoriaux d’intervention pour dépasser le couple par trop binaire de l’« étatocentrisme » versus la subsidiarité locale à tout crin.

Mais à ce stade, veillons à identifier les « déplacements » qui nous brouillent les pistes et peuvent, à défaut, nuire à la clarté de la discussion.

  • La synecdoque qu’est le confinement au regard de la pandémie et de sa gestion.

Imposé par la perspective de voir l’hôpital submergé, le confinement est devenu le (nouveau) point de focalisation de l’action publique.

Il a l’avantage d’être la solution la plus simple à mettre en œuvre par l’Etat (l’Etat régalien, seul, agissant en majesté) qui en l’espèce a privilégié ce qu’il savait faire (fermer les écoles et déployer des forces de l’ordre). Ainsi c’est la population (acceptant d’être privée de ses libertés publiques) qui est venue au secours du service public (entendu comme le seul système hospitalier). Avec pour effets collatéraux que sa mise en œuvre a accru les difficultés de gestion de crise (l’accueil des enfants des forces de l’ordre en sus de ceux des personnels soignants dans les écoles ; le besoin de masques pour les forces de l’ordre, le maintien des activités des tribunaux pour les comparutions immédiates) voire aggravé la dissémination interrégionale du virus (départs massifs des classes créatives des grandes agglomérations vers le rural).

Il convient de noter que : 

  1. La sortie du confinement est désormais problématique et devient, à son tour, un objet de débats, de position.
  2. Le confinement ne répond pas aux enjeux d’immunisation de l’ensemble de la population, dans l’hypothèse (in-récusable à ce stade) d’une installation chronique du virus à chaque période hivernale.
  • L’analogie guerrière qui tend à inverser la cause (adopter des mesures coercitives faute de mieux) et la conséquence (qualifier la pandémie de guerre) – une sorte de chiasme ou d’asyndète.
  • L’euphémisation (le contre-sens ?), si mal venue, de la « distanciation sociale », en lieu et place de la distanciation « physique » alors mêmes que les ressorts sociaux sont une dimension clef des crises sanitaires et de leur résolution. Que faire de  ces mesures de « distanciation sociale » quand il s’agit de prendre en charge les personnes (celles qui sont seules à domicile, celles qui sont démunies ou à la rue, cellesqui sont à distance de l’école, celles qui sont confrontées à des violences familiales etc.)

Nul doute qu’en sortie de crise seront annoncés divers plans. Parions sur un plan de relance économique, un plan hospitalier, un plan EHPAD, un plan de stockage des équipements sanitaires, un plan de recherche sur les coronavirus, etc. Mais la résilience de « l’après » n’est-il pas à rechercher dans une réflexion sur les ressorts à réinventer de l’action publique : l’adaptabilité, la prise d’initiative et la relation à la société civile, l’intégration réelle des dimensions sociales et humaines.

Ce texte a été écrit par A., agent public.

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Municipales : le jour d’après la victoire (pour ne pas la gâcher d’emblée)

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Podcast de l’émission « Ainsi va la ville », proposée par Paul Citron, Lolita Voisin et Olivier Gaudin sur Radio Cause Commune et diffusée le 10 février 2020.

Ecouter l’émission via le site de Radio Cause Commune.