Pour préparer demain, observer les transformations publiques par temps de crise
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Le futur de l’action publique est-il en train de se fabriquer sous nos yeux, dans les multiples innovations spontanées et autres bricolages institutionnels provoqués par une crise aussi brutale qu’inattendue ? Voilà la question qui nous taraude depuis plus d’un mois. Et plus l’horizon de « sortie de crise » semble lointain, plus la nécessité de comprendre ce qui se joue « pendant la crise » paraît nécessaire, à la fois par les questions qu’elle pose et les opportunités de réponse qu’elle semble offrir.
Covid19 : un électrochoc dans l’innovation publique à la française
Cela fait plusieurs années que nous œuvrons patiemment à la transformation publique. Et nous voilà pris de vitesse ! En quelques semaines, les collectivités locales, les services de l’Etat et les forces vives des territoires s’efforcent d’innover. Dans ce contexte critique, l’impératif de continuité de service bouscule le management public et transforme les modalités de prise de décision. De nouveaux modes de coopérations apparaissent, la relation des institutions publiques aux usagers et aux citoyens se recompose.
Evidemment, toutes ces transformations in situ suscitent notre enthousiasme et notre curiosité. Elles démontrent par les actes la réactivité des agents et l’inventivité des organisations publiques qui improvisent des réponses et bousculent un logiciel de modernisation trop souvent pensé par en haut. Comment ces innovations se déploient-elles sur le terrain ? Quelles en sont les formes, les acteurs et les effets ? Il y a urgence à garder trace de toutes ces initiatives, avant qu’elles ne disparaissent ou ne se normalisent. Un constat que l’on sait partagé, eu égard aux démarches initiées par certains opérateurs publics (notamment par le CNFPT avec Riposte Créative), des associations d’élus comme l’AMF, l’ADCF, l’AMRF ou France Urbaine ou encore des journaux d’investigation locaux (voir la démarche de Médiacité).
Et en même temps, ces évolutions nous interrogent.
Que faut-il penser des objets intrigants (ré)apparus avec la crise, comme la figure du “réserviste de l’action publique” ou la notion “d’activité essentielle” ? De quoi les partenariats entre makers et collectivités, autour par exemple de la production de masques ou de visières de protection, sont-ils le signe ? Quelle vision du rôle de l’acteur public et de ses modalités d’intervention ces initiatives tous azimuts contribuent-elles à diffuser ? Construites pour faire face à la crise, les multiples réponses de l’acteur public renouvellent, en creux, les visions de l’action publique. Toutes ne convergent pas vers un même horizon. Alors, de quelles tendances sont-elles l’écho ? Faut il chercher à les pérenniser ou à en souligner le caractère temporaire ?
L’innovation n’est pas une fin en soi, et reste souvent porteuse d’ambiguïté. Avant de la défendre ou de la décrier, il nous semble indispensable de prendre le temps de comprendre ce qui se joue à l’heure actuelle, et de le mettre en perspective d’une lecture plus large de la transformation publique, et des dynamiques qui la traversent.
La résilience : un cap nécessaire pour la transformation publique
Aussi, la crise actuelle renforce notre conviction sur la nécessité d’imbriquer davantage transformation publique et résilience : la première rend possible la seconde, qui contribue à lui donner un cap.La résilience, pour un territoire, ses habitants, ses infrastructures, ses institutions, implique de se préparer à subir des chocs, comme celui que nous vivons actuellement, mais aussi de réduire l’effet des crises latentes, ou qui le fragilisent sur le long cours. Il s’agit de ne pas attendre ces difficultés pour anticiper, agir, et s’organiser dans ladurée.
Mais la réorganisation de l’action publique au service de la résilience territoriale ne se décrète pas, et la transformation publique peut aider à dessiner le chemin pour y parvenir. Comment mettre les outils de la conception et de l’innovation au service de la résilience territoriale ? Ce nouvel état appelle à ancrer solidement l’innovation publique du côté du renforcement de nos capacités collectives à bien vivre, dans la durée, bien au-delà des seuls critères de l’expérience utilisateur et de l’optimisation des coûts.
En la matière, la crise agit comme un révélateur des vulnérabilités et des capacités de résilience de nos administrations : comment a-t-il été possible de mettre à l’abri les SDF en un temps record ? de maintenir les services d’aide social de proximité ? Elle fait émerger des modes de délivrance de services publics plus agiles. Certaines formes et pratiques semblent faire office d’accélérateurs de politiques publiques (résorption du sans abrisme, lutte contre la solitude, relocalisation de l’économie…). Alors, comment capitaliser sur ces expériences pour bâtir des capacités publiques adaptées au monde qui vient ?
Hors des murs de l’administration, ce sont ces capacités préexistantes du territoire qui ont rendu possible le foisonnement d’initiatives permettant d’atténuer les effets de la crise. Sur quelles “structures” repose cette capacité d’action ? A la lumière des crises passées, dans la perspective de crises futures, comment l’acteur public peut-il structurellement renforcer les capacités de résilience de son territoire ? Par où commencer ?
C’est pour toutes ces raisons que nous proposons d’initier une enquête sur le produit de la rencontre entre transformation publique et résilience territoriale, sur le terrain de la crise actuelle. Destiné à être mené dans les six mois qui viennent, il associe la 27e Région (avec le soutien de Bloomberg Philanthropies), Partie Prenante, Vraiment Vraiment ainsi qu’un réseau de laboratoires d’innovation publiques et de complices praticiens familiers des outils de la résilience territoriale.
Conçue comme une archéologie de bribes d’un futur en train de se faire, la démarche combine collecte d’indices in situ et hypothèses d’interprétation. Elle s’appuie pour cela sur une grille de lecture alimentée par nos travaux antérieurs. Elle a pour but de préfigurer les chantiers à engager dans le sillage de la crise, pour que la transformation publique puisse utilement révéler et renforcer la résilience des territoires.
Signataires :
Louise Guillot, cheffe de projets à la 27e Région
Noémie Fompeyrine, responsable de la Mission Résilience, Ville de Paris
Yoan Ollivier, co-fondateur de Vraiment Vraiment
Grégoire Alix-Tabeling, co-fondateur de Vraiment Vraiment
Julien Defait, designer à la 27e Région
Nicolas Rio, Partie Prenante
Mathilde François, Partie Prenante
Manon Loisel, Partie Prenante
Laura Pandelle, designer
Nadège Guiraud, directrice des programmes et des projets à la 27e Région
Sylvine Bois-Choussy, cheffe de projets coopération internationale à la 27e Région
Vous voulez en parler ? contact@vraimentvraiment.com