1 mètre carré, 1000 usages : le plan et l'agenda
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Le plan spatial est au cœur du travail et de la négociation du projet architectural. Il nous semble important que l’agenda trouve aussi une place au cœur de tout projet de construction/rénovation : ordonner dans le temps d’une semaine ou d’une année des usages qui “s’enchaînent” dans un même espace est indispensable pour intensifier utilement les usages des mètres carrés.
Les acteurs d’un projet architectural peuvent parler du plan pendant des jours – à juste titre, car il est par définition structurant. Les futurs occupants sont appelés à spécifier leurs besoins en termes de surface et de caractéristiques spatiales, avant que les contraintes budgétaires et techniques ne forcent à reconsidérer les ambitions de tout le monde. Une fois sorti de terre et inauguré, on s’apercevra peut-être que la salle d’animation périscolaire à côté de la bibliothèque était une bonne idée sur le papier…, sauf les deux soirs par semaine où le club d’échecs, avec ses joueurs concentrés, utilise, précisément, la bibliothèque. Ou que le clubhouse du gymnase aurait fait un parfait lieu de vie de quartier, si son accès n’avait pas été pensé exclusivement pour les trois associations sportives du gymnase.
C’est que le travail sur le plan, seul, est insuffisant pour favoriser des usages à la fois intenses et compatibles. Il est nécessaire, pour cela, de travailler également sur l’agenda du futur lieu. Et ce, dès les tous premiers stades de la conception du projet. Est-ce que l’entièreté de l’équipement aura les mêmes amplitudes horaires, même après 18 h, et même le week-end ? Comment prévenir les conflits d’usages d’espaces mitoyens qui se succèdent mal ? Qui doit être chargé de gérer cet agenda partagé d’espaces partagés ?
Vraiment Vraiment n’a ni 30 ans d’expertise à faire valoir sur le sujet, ni de solution toute faite. Dans le cadre du projet de recherche « Lieux Publics Intensifiés » ou dans nos projets, nous explorons différentes façons de mettre « le planning » au cœur de la conception puis du fonctionnement des lieux qui se prêtent à la mutualisation et à l’intensification des usages (équipements scolaires, logements sociaux, bureaux, espaces publics…) à différentes phases du projet (programmation, maîtrise d’œuvre, etc.). Ce sont ces expérimentations, récentes ou en cours, que nous présentons ici.
Dialoguer autour de l’agenda d’une bâtisse pour créer du lien social
Vraiment Vraiment a accompagné une municipalité dans le Puy-de-Dôme dans la définition des nouveaux usages, les pistes de gestion et d’activation transitoires d’une bâtisse au cœur du village. L’actualité brûlante des enjeux des centres-bourgs, de ZAN, de bilan carbone des constructions neuves, obligent les collectivités à ne plus sélectionner des implantations d’équipement uniquement sur l’expansivité des volumes constructibles, mais à privilégier fortement la bonne adresse : quitte à ajuster le programme au regard des capacités de l’existant. Ici, un bâtiment d’à peine 100 m2 au sol, en périmètre classé, au carrefour entre la mairie, l’école et les commerces du bourg. Puisque les coques constructibles ne sont plus infinies ni malléables, ces politiques rurales gagneraient fortement à penser à la chronotopie de chaque pièce.
Les premiers échanges avec les habitants ont fait jaillir de nombreux besoins et envies : accueillir les personnes âgées isolées en hiver, loger des artistes et (télé)travailleurs de passage, héberger des activités sportives, d’artisanat, de soin, de loisirs… Dans le cadre d’une réhabilitation, la forte contrainte spatiale a forcé une réflexion autour de l’agenda, pour faire cohabiter ou se croiser tous ces usages différents. Les outils de discussion – de négociation dans cet espace contraint – avec les habitants doivent tout de suite poser la question de la granularité du quotidien. C’est le problème d’une programmation ouverte de lieu : on y projette rapidement la « grande » vie sociale, les quelques grands jalons de festivités annuelles. Mais pas les mille petites raisons qui en font une petite destination récurrente (le mercredi après-midi ou à 22 h, quand le café ferme et qu’il n’y a plus de lieu pour se retrouver), l’objet d’un petit détour, et à la fin, un lieu de rencontre quotidienne.
La photo illustre ici un des outils de l’agence pour aider habitants et associations à se projeter très concrètement dans les temporalités quotidiennes, hebdomadaires et saisonnières, à agencer tous les usages imaginés dans un même espace en fonction de leur fréquence, de leur saisonnalité, de leurs besoins, et surtout à éviter l’effet d’empilement programmatique « chacun son local, chacun son bureau ». À titre d’exemple : une des orientations chronotopiques que l’outil a permis de faire sortir, tant sur le projet bâtimentaire que sur le réaménagement de l’espace public, est sa résonance avec ce bref mais stratégique moment que représente la sortie d’école, quelques numéros plus loin. La superposition d’usages projetés, dans un temps contraint sur un espace étroit, a révélé le besoin d’élargir généreusement ce trottoir qui les lie pour en faire un parvis.
Pour favoriser la durabilité de ce cadre, le projet a conduit à élaborer un guide sur la gestion, à destination des porteur·ses de projet, dans lequel est détaillé la programmation (et donc la chronotopie des espaces), la création d’un métier de gestionnaire-concierge, des questions de gouvernance à envisager ou encore une stratégie économique pour le lieu.
Expérimenter l’ouverture du réfectoire à d’autres usages (et d’autres horaires)
Dans le cadre de la construction d’un nouveau collège, Vraiment Vraiment est mobilisée aux côtés des architectes pour que le futur équipement consacre une attention particulière aux usagers et à leurs besoins. La question de l’intensification des usages en journée s’est vite imposée pour le réfectoire : la monofonctionnalité de cet espace, 2 heures par jour, 5 jours sur 7, contraste avec les nombreuses qualités architecturales qu’on lui prête : un espace généreux, lumineux, facilement accessible et capable d’accueillir bien plus que deux services par jour. Pour résoudre la difficile équation plus d’usages / moins de conflits de gestion, nous expérimentons actuellement sur un collège voisin l’utilisation du réfectoire en dehors des heures de service.
La donnée temporelle est la porte d’entrée pour comprendre le fonctionnement de cet espace, tout autant que l’outil de discussion avec les différentes parties prenantes (agentes d’entretien, conseillers techniques de la restauration, gestionnaire d’établissement…) autour de la question au cœur de l’ouverture du réfectoire : par qui, quand et comment est nettoyé cet espace dont l’usage principal nécessite une attention d’hygiène particulière ?
Nous avons enquêté sur les outils de gestion internes dont ils disposent, observé le rythme de l’espace in situ et travaillé en atelier sur un nouveau modèle de gestion.
Parallèlement, la discussion autour du planning des assistants d’éducation qui encadrent et surveillent un collège fait ressortir le manque d’espace pour les heures de permanence et la possibilité qu’un AED emmène un nombre précis d’élèves au réfectoire (élèves en demande d’espaces de détente au sein du collège…).
L’ensemble de ces données issues de la rencontre entre la donnée temporelle, le taux d’usage et la gestion nous permet de dresser le cahier des charges du réfectoire du futur. Une zone de détente y complètera l’offre d’espaces mis à disposition des élèves n’ayant pas cours dès 14 h. Elle doit être située proche de la sortie de la restauration pour éviter d’avoir à traverser les cuisines et/ou salir l’ensemble du self. Elle est délimitée car elle ne doit accueillir qu’une trentaine d’élèves pour ne mobiliser qu’un AED et est facilement identifiable (signalétique, mobilier de même couleur). Son mobilier doit tant permettre le repas que des activités liées à la détente en après-midi. La présence de cloisons mobiles permettra de protéger la ligne de self en dehors des temps du repas.
Pour l’entretien, il est décidé que les agentes nettoieront cette zone du self en amont du service (et non plus juste après). Pour éviter l’effet purée sur cahier, les collégien·nes du deuxième service ayant accès à cette zone attractive doivent en contrepartie nettoyer leur table grâce à une desserte mise à leur disposition et ainsi soulager le travail des agentes. Une convention claire sera passée entre les AED et les agentes de restauration. Il est même envisagé que le nettoyage des tables du réfectoire se fasse en amont des services et non plus à la fin.
C’est donc un nouvel espace qui a fait irruption dans la vie quotidienne de l’établissement grâce à l’analyse fine de la donnée temporelle. Ce travail, en cours d’expérimentation, a pour objectif d’affiner le scénario d’usage en le testant/amendant avec des usagers types afin d’acculturer en interne les services, infuser la mission mobilier, l’aménagement et le projet d’établissement du futur collège.
Légitimer tous les usages de la piscine via le calendrier
Utiliser le planning comme support de débat pendant la conception architecturale d’un équipement scolaire nous aura permis de transformer l’aménagement d’un espace pour assurer son utilisation tout au long de la journée. Pendant la programmation d’un équipement rural, il permet d’accueillir une palette d’usages variés. Dans ce troisième et dernier exemple, il légitimise une diversité d’usages : Vraiment Vraiment est intervenu pour aider à repenser l’offre de services et l’identité d’une piscine dans les Yvelines afin de reconquérir visiteur·euse·s et abonné·e·s, mais aussi d’en attirer de nouvelles·aux.
Dans un contexte où les usages « nobles » (= où la médaille est le principal indicateur de réussite d’une politique sportive) prenaient beaucoup d’espaces (= de créneaux de ligne d’eau) au point de créer du non-recours pour les autres usagers, il était nécessaire de revaloriser tous les usages, en les « dé-hiérarchisant », dans un lieu accessible et ouvert à tous·tes.
Une première esquisse de l’agenda « spatial/temporel » (ci-dessous), réunissant sur la même illustration usages/horaires/plan a permis d’aboutir à une signalétique modulaire, affichée dans le hall aux yeux de tous (ci-dessous).
Ce partage d’usages légitimes a facilité la compréhension de la cohabitation des usages (l’oisiveté/la compétition, la vitesse/la lenteur, la solitude/le collectif…) au regard des heures et lignes d’eau. En s’affichant au mur, le planning prévient les conflits entre des usagers/usages qui pouvaient paraître incompatibles et légitimise leur présence.