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Du droit aux portes qui claquent dans les EHPAD

Temps de lecture : 4 minutes

Dans le cadre d’un projet Vraiment Vraiment / Conseil départemental de la Nièvre / CNSA, Camille Billon-Pierron a exploré un monde jusque-là inconnu pour elle : l’EHPAD de Lormes, dans le Morvan. L’Atelier Java lui a demandé de raconter dans le tout premier numéro de la très belle revue L’épopée. Nous publions ici son texte, écrit en mai 2020 et qui résonne particulièrement en cette période de re-confinement des personnes en EHPAD.

A priori, à 25 ans, aucune autre raison que la visite d’un proche, ou le travail, ne m’aurait amené à pousser les portes d’une maison de retraite. Et c’est bien là le coeur du problème. Aujourd’hui, les maisons de retraite ne sont plus, dans notre imaginaire bien plus que dans la réalité des choses, des lieux de vie. Elles sont pour nous tous synonymes de “dernière étape”,  “d’hôpital pour vieux”, “de mouroir”. On en parle comme de la dernière option, du choix par défaut. Ne surtout pas sous-estimer la puissance des imaginaires sur les représentations que nous avons des choses. Dans notre entourage et dans les médias, les raisons d’entrer en ehpad communément citées ne sont souvent pas les plus positives : parce que nos enfants et petits-enfants sont loins et inquiets, parce que l’on a perdu son compagnon de vie et que l’on a peur de ne pas s’en sortir tout seul. Il serait faux de dire que ce n’est pas le cas pour beaucoup de personnes âgées qui sont résident.e.s de maison de retraites françaises aujourd’hui. Mais il serait faux d’oublier “les bienheureux”, ceux qui sont venus par choix, pour la tranquillité d’esprit (parce qu’à un âge avancé il est parfois très agréable d’être assisté) ou tout simplement parce que le temps était devenu long tout seul. C’est vrai que si l’on dédramatise un peu la chose et qu’on force l’analogie avec nos habitats de jeunes  : qu’est-ce qu’une maison de retraite si ce n’est une colocation géante de 90 personnes ? 

Lorsque j’ai rejoint Vraiment Vraiment l’année dernière, l’objet de mon premier projet était celui-ci : améliorer la qualité de vie sociale des résidents d’une maison de retraite en reconnectant leur quotidien à celui de la vie locale, “en ouvrant les portes sur l’extérieur”. Ca restera probablement le projet qui, humainement, m’a le plus marqué. Pour m’imprégner du sujet, et essayer de comprendre ce que c’est que d’être une personne âgée dépendante en France en 2020 : j’ai lu, écouté, regardé, débattu, épluché des témoignages venus de toute part. J’ai pris conscience de l’importance du sujet et de son universalité. C’est certain : nous vivrons de plus en plus vieux et la question du logement se posera un jour ou l’autre à chacun d’entre nous, que nous soyons riche, pauvre, petit, grand, rural, urbain. En mars 2019, nous sommes partis pour la première fois “sur le terrain” pour capter les ambiances, écouter les récits, questionner les vécus de ceux qui vivent la maison de retraite : les résidents, le personnel, les visiteurs (proches et moins proches).

Ce que j’ai découvert en passant les portes de cette maison de retraite, c’est un monde que je ne connaissais pas, une vieillesse que je n’avais jamais vu ni côtoyé. Une vieillesse diverse, dont la dépendance était singulière, propre à chacun. Au fil de nos visites dans cette maison de retraite du Morvan, j’ai fait des rencontres marquantes : celle de Mme Lafont, entre autres, centenaire et doyenne de l’ehpad, qui nous a raconté le Paris des années 50, le marché de Saint-Quentin et la place du tertre avant le tourisme de masse. Petit à petit, anxiété et tristesse qui m’habitaient les première fois se sont transformées en chaleur et profonde tendresse. Je me suis rendue compte que l’anxiété que j’avais pu ressentir trouvait sa source dans l’appréhension que l’on peut parfois avoir à l’égard de l’inconnu, inconnu qui était en l’occurrence nos aînés. Elle était aussi intimement liée à ma culture occidentale et à ce qu’elle me renvoie de la vieillesse, à mon éducation dans une société qui n’a plus le temps pour ceux qui en ont à revendre. Plus j’en passais les portes, plus c’était normal de les passer, plus on me reconnaissait (bon, certes, pas à tous les coups), plus je me sentais là-bas comme ailleurs. Je sentais que notre jeunesse apportait avec elle son lot d’envie, de motivation, de nouveauté chez les résidents. On était accueillies comme des reines.

Il s’en est passé des choses depuis : on a tagué les abords de la maison, avec Patricia qui nous regardait en fumant sa cigarette et ne nous a pas épargné de ses commentaires d’une franchise détonante. On a partagé des repas d’anniversaire, on a aidé à l’animation d’un loto qui a tourné au pugilat parce que Mme X qui n’entendait rien criait à voix haute des numéros qui n’étaient absolument pas sortis. On a chanté aussi. On a assisté à des engueulades, à des fou-rires, à des moments de complicité entre équipes et résidents. On a réfléchi, beaucoup, avec les acteurs de la culture locale, les associations, les acteurs institutionnels et les citoyens pour imaginer et concrétiser cette nouvelle programmation de la vie locale au sein de la maison de retraite : est-ce qu’on relocaliserait pas les répétitions de la troupe de théâtre ? pourquoi pas en faire le point relai de paniers paysans ? et si le cinéma itinérant posait ses valises dans la salle d’animation ?

Tout cela a permis de rendre à nouveau visible un lieu et des habitants, en les percevant sous un nouveau jour. Tout cela a permis de s’autoriser à prendre part au quotidien de nos aînés, avec toutes les joies et tous les problèmes que cela implique. Tout cela a permis de se rappeler qu’un ehpad, avant d’être un acronyme et une ligne de dépense publique, c’est une maison commune qui a le droit de vivre comme toutes les autres maisons : de ses passages, de ses portes qui claquent, des souvenirs que l’on y crée, des moments que l’on partage, dans chaque pièce, et pas seulement dans sa chambre. C’est un lieu qui concentre une richesse inestimable d’histoire, d’humour, d’amour, de haine, de ragots, au même titre que tous les lieux qui ont vu passer des vies en communauté. C’est un lieu qui a le droit de vieillir avec son temps, de tester, de se tromper en ouvrant ses portes à la découverte, à la fête et à tous les autres plaisirs qui font que la vie est plus douce. 

Le projet a donné naissance à Open Ehpad, avec des ressources pour faire des Maisons de retraite des lieux de vie et des acteurs territoriaux à part entière.

Retrouvez le témoignage de Camille dans le n°1 de L’épopée, à commander ici.